....et je me retiens de dire que j'ai déjà rencontré ces autres hommesqui après ton départ devaient me ramener à la joie et au plaisir, et qui, d'une certaine façon, incomplète et maladroite, l'ont fait, et que si à l'avenir il devait y en avoir d'autres, et là aussi je me retiens de lui dire ce dont j'ai la certitude, la joie et le plaisir me reviendraient mutilés, comme les soldats de la guerre que je mène. (P. 215)
La mort me met en colère. Depuis qu'il est parti, la mort m'agace, m'exaspère par son insolence et son impertinence, par sa façon d'étouffer Mauro alors qu'elle est, elle- même, si vivace.
Les souvenirs sont malléables et très faciles à retoucher. Il suffit d’en découper la silhouette et d’y apposer un nouveau fond, de succomber aux vices de notre époque et de les augmenter, de jouer avec des filtres qui les rendront plus beaux, de se composer un passé sur mesure pour affronter un présent en chair et en os, dans lequel il ne sera pas nécessaire d’être à ce point intransigeant. Car personne ne viendra fourrer son nez dans notre solitude pour nous dire que cette ombre-là n’existait pas et que ce coin-là est plus lumineux.
La mémoire retient des faits qui à l’époque n’avaient rien d’exceptionnel – enfiler des chaussettes toutes neuves – et qui lorsqu’ils ont lieu ne nous préviennent pas que nous créons un souvenir unique de la mère que nous allons bientôt perdre.
J’ai découvert que la douleur, l’impuissance et la tristesse, loin de faiblir avec le temps, perdurent à l’état larvaire, prêtes à ressurgir à la moindre occasion.
Assise par terre, j’observe la poussière accumulée sous les casiers. Des moutons gris comme le troupeau d’une vallée maudite. Jeudi, j’irai dîner et rire. Les déblais de la vie, on les dissimule où on peut.
Je me dis qu'elle et moi venons d'un lieu reculé où nous sommes restées trop longtemps, le temps nécessaire pour que les rires et la joie des autres deviennent une forme d'insulte, le temps nécessaire pour comprendre qu'il y a quelque chose de triste et de vaguement méprisable lorsque l'amour s'éteint, mais que rien n'est comparable à la déroute dévastatrice de la mort.(...) C'est elle qui commande à la vie et non pas l'inverse. (p226-227)
Les déblais de la vie, on les dissimule où on peut. (p157)
La douleur d'un père est différente de celle d'une mère, et celle d'une mère de celle d'une sœur, et, bien entendu, la douleur d'une épouse est différente de celle d'une femme que l'on vient de quitter.(P. 77)
1984. Ça paraît dingue, je sais, mais c'est George Orwell qui m'a permis d'accéder à ton téléphone la première nuit où tu n'étais plus en vie.