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Citations sur Luz ou le Temps sauvage (74)

Mais je me demande ce qu’elle faisait quand on a jugé les commandants. Si je me rappelle bien, je n’ai jamais entendu parler de ce procès à la maison. Les séances étaient publiques. Est-ce que maman aurait assisté à l’une d’elles ?
Elle est dans sa chambre. J’entre et je lui demande. Elle me regarde abasourdie.
— Qu’est-ce que tu dis, Luz, tu es folle ? Comment peux-tu penser que j’aie pu assister à ces séances où tous ces misérables apatrides ont osé agresser ceux qui les avaient délivrés du danger de la subversion.
Je ne l’avais jamais vue aussi véhémente et convaincue.
 — Mais tu as dû lire des articles à l’époque du jugement.
 — Jugement ! Mais de quel droit ces types-là jugeaient ? Qui étaient-ils ?
 — Il y a bien eu un procès, avec des juges, des avocats de la défense, des procureurs, et il y a eu une sentence.
 — Et qu’est-ce qui s’est passé ? Rien, ils ont tous été remis en liberté, sauf les commandants qui donnaient les ordres. S’il y a eu des erreurs, elles viennent d’eux, les autres n’ont fait qu’obéir. Mais ne crois pas pour autant que j’approuve la condamnation des commandants, ce n’était pas une guerre conventionnelle, et en fin de compte ce sont eux qui ont sauvé le pays.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « ce n’était pas une guerre conventionnelle » ? – je m’efforce de ne pas m’emporter, d’essayer de savoir ce que croit maman, parce que ce n’est pas possible qu’elle soit au courant de faits si abjects, si dégradants, et qu’elle les défende.
 — Elle n’était pas conventionnelle parce que l’ennemi n’était pas à l’extérieur mais s’était infiltré dans le pays, c’est pourquoi il a fallu agir d’une autre manière. Il y a eu peut-être quelques excès, mais c’était une guerre et l’important dans une guerre c’est de la gagner, à tout prix.
Je voudrais lui demander si elle considère que la guerre consiste en des enlèvements à l’aube par des bandes anonymes, des « affrontements entre des cadavres putréfiés et des fantômes », comme l’a déclaré un témoin, la torture et le vol, mais je me tais et la laisse continuer : Ils ont sauvé le pays, par contre qu’a fait ce crétin qui les a discrédités quand il était au pouvoir, qu’est-ce qu’il a fait ? Je vais te l’expliquer, Luz, il a plongé le pays dans le plus terrible des chaos, l’hyperinflation. Bien sûr, tu ne t’en rendais pas compte, heureusement tu n’as jamais manqué de rien. Mais toi qui aimes les pauvres – cette ironie qu’elle veut insultante –, eh bien, les pauvres ils n’avaient plus de quoi manger, il est vrai qu’ils sont habitués. Elle allume une cigarette et sa voix revient à des registres plus courants, comme si son couplet sur Alfonsín et l’hyperinflation l’avait purgé de son exaltation patriotique et rendu à son snobisme, à sa stupidité distinguée. Les pauvres ont toujours été habitués à ne rien avoir, mais quand on a des biens et qu’on voit ses propriétés menacées, son mode de vie, alors c’est bien pire.
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Tu sens maintenant combien te fait mal tout ce qui s'est passé dans ton pays et devant quoi tu as gardé les yeux obstinément fermés.
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-" Jamais plus ! Jamais plus ! ", c'est un seul cri qui monte de milliers de voix vibrantes et fait naître en moi une émotion nouvelle. Et maintenant :" Celui qui ne saute pas est un militaire ! " Et je chante et sautille avec mes copains de fac, avec tout le monde, tous ceux qui convergent vers la place de Mai. Et je sens croître une force dans ces voix avec lesquelles je me lie, je fraternise.
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Ils restèrent des heures sur la place [...] Plus tard, dans un café, ils firent de timides pas l'un vers l'autre, se mentant par moments, ils avaient perdu leurs copains dans la foule, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent chez Ramiro et se débarrassent avec hâte de leurs vêtements, des malentendus, des peurs. Il ne resta plus dès lors que la sagesse de la peau, la tiédeur, les mains, les bouches et ce qu'ils avaient pressenti sur la place devint clair : tout ce qu'ils avaient pensé l'un de l'autre, cette impossibilité de vivre ensemble, n'était qu'un mensonge. Ils étaient là tous les deux, s'aimant avec voracité, récupérant le temps perdu dans cette histoire tout aussi évidente et palpable que leurs corps mêmes. Par crainte sans doute de voir s'évanouir cette certitude, Ramiro et Luz ne se dirent rien de plus cette nuit-là jusqu'à ce qu'elle reparte chez elle et qu'ils se séparent par un long baiser. Ni "je t'appelle", ni "à demain" ou "adieu".
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Je crois que ça lui plaît l'idée de l'enfant, que ce n'est pas seulement pour moi, ou qu'il est tellement dingue de moi qu'il confond tout et finit par vouloir la même chose, non, lui aussi en a envie. Le tout est d'être un peu futée pour manœuvrer les mecs. Parce que celui-là, il fout la trouille à tout le monde, mais à la maison, celle qui doit lui foutre la trouille, c'est moi, mais d'une autre manière, avec qualité et astuce. Ici, c'est chez moi, et chez moi on fait ce que je veux.
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C'est ce que m'a dit la dame de la glace - et Luz ouvre à peine les yeux, mais lui serre fort la main-, que maman n'est pas ma maman. Et elle ferme les yeux.
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Ce pays est amnésique.
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Ils ont recouvert son cercueil d'un drapeau. Je ne connais pas ce monstre en uniforme qui est en train de parler. Je ne veux pas l'écouter. La main de maman serre la mienne, et la colère qui monte en moi aux paroles de ce fils de pute menace la douceur de ce contact entre sa main et la mienne. Maman m'aime, sinon elle ne chercherait pas ma main en ce moment. Elle se détache de moi et, avec sa mère et ses sœurs s'avance vers le cercueil. Elle pleure, accablée. Je regarde ces quatre femmes devant le cercueil. Elles ont la chance de savoir que dedans repose le corps d'un père et d'un mari. Combien sont-ils, dans ce pays, qui n'ont pas eu la possibilité de faire leurs ultimes adieux aux êtres qu'ils aimaient à cause de ce salaud, là-dedans, couvert d'un drapeau ? J'observe les autres, au garde-à-vous, tout fiers dans leur uniforme. Comment osent-ils s'exhiber dans cet accoutrement après ce qu'ils ont fait ? Pourquoi, eux, personne ne les tue ? Pourquoi n'y a-t-il personne ici pour les insulter ?
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Toutes ces années en France ont formé une mince croûte sur sa blessure,mais depuis qu'elle est à Buenos Aires,la douleur s'est réveillée,elle peut la palper,la respirer,la sentir remuer dans son corps. C'est une douleur qui ne la laisse pas en paix,qui exige d'elle action,vengeance,réparation. Et la seule réparation possible,pense-t-elle,sera de remuer ciel et terre pour retrouver cet enfant,sa nièce ou son neveu,si du moins il a survécu.
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Les fantômes sortent maintenant de ces minutes du procès, de ces pages déjà jaunies par le temps, et peuplent mes jours et mes nuits. Je vois cette fille, Beatriz, la jambe cassée, au camp de détention, qui se traîne aux toilettes et y trouve les lettres et le journal intime de sa mère que l’on a accrochés pour se torcher le cul. Je l’imagine essayant de cacher sous ses vêtements ces papiers de sa mère qui s’est suicidée peu de temps auparavant, folle d’horreur devant le destin de sa fille. C’est exprès qu’ils ont placé là ces papiers, pour qu’elle les y trouve, comme si ses tortures physiques n’étaient pas suffisantes. Et cet homme que ni l’électricité sur les gencives, le bout des seins, partout, ni les séances systématiques et rythmiques de coups de baguettes en bois, ni les testicules tordus, ni la pendaison, ni les pieds écorchés à la lame de rasoir, ne parviennent à faire s’évanouir ni parler, et à qui on présente un linge taché de sang : « C’est de ta fille », lui disent-ils, elle a douze ans sa fille, voyons s’il va collaborer, s’il va parler maintenant.
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