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Critique de Alzie


Où lire devient un moment de réflexion aussi heureux que bref. Après « Petit éloge de la fuite hors du monde » (2014), à destination de toutes celles et ceux en quête de « latitudes plus favorables », Rémy Oudghiri s'attarde ici sur « le secret le mieux gardé du jour » : l'aube. Dans la beauté et la simplicité de commencements faits aussi pour interroger nos vies, il nous fait musarder auprès d'auteurs tels que Char, Thoreau, Giono, Camus, Valéry, Quignard ou Barrico, parmi beaucoup d'autres, entre cinéma, musique et poésie, au gré de ses voyages et de quelques rencontres insolites. Se faisant marcheur et voyageur, peintre et photographe, passeur de lumières provisoires et improvisées, incertaines et changeantes, même des plus irréelles qu'il poursuit jusqu'en Toscane et qu'il inscrit dans cet opuscule, à sa manière simple et directe, nous renvoyant l'écho de nos propres expériences en la matière. Qui ne s'est jamais laissé surprendre (comme lui au retour d'Heidelberg) par l'émotion d'un lever de soleil à travers la vitre d'un train ? Qui n'a jamais ressenti tôt le matin le désir de chambouler ses habitudes, lire au réveil, aller au cinéma à huit heures, ne pas se rendre au bureau ? Si l'aube est à tous et si le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, comme dit le dicton, l'auteur ne cherche qu'à rendre au « miracle matinal » une grâce oubliée, une dimension poétique et une portée métaphysique, que lui dénient les idées utilitaristes communes ou les pratiques de développement personnel de tous ordres. L'expérience de l'aube a commencé pour Rémy Oudghiri dans le silence d'une maison endormie quand, collégien à Casablanca, il s'était levé une fois très tôt pour finir d'apprendre une poésie (et ne pas mourir de honte en classe)…

A l'âge où l'on se cherche des maîtres il lut René Char. « Un matinal, dans la mythologie singulière de René Char, était bien plus qu'un lève-tôt. C'était un insurgé qui refusait de se soumettre à l'accélération du monde et combattait tous ceux qui, par esprit de spéculation ou par extravagance, voulait que le monde avançât plus vite. La tâche des « Matinaux » était semblable à celle assignée à l'aube par Thoreau : ouvrir une voie alternative, « ouvrir dans l'aile de la route d'insatiables randonnées » (p. 126). D'un moment sans les autres qui précède souvent un temps social contraignant il fait de l'aube une échappée qui offre des beautés astronomiques et oniriques éphémères invitant tout un chacun à franchir un seuil. C'est un entre-deux-monde propice à l'errance pour l'auteur cheminant désormais dès potron-minet à travers la ville et sa banlieue entre RER et métro adoptant l'oeil exercé d'un Depardon. Paris, Gare de l'Est et le bassin de la Villette, quartier Saint-Lazare et rue de Lévy, marché Georges Brassens, boulevard Serrurier et Vaugirard au petit matin avec, au-delà du périphérique, la joie d'autres rencontres fortuites et hasardeuses (celle de Peter Handke) capables de sonner l'urgence de relectures. L'aube donne aussi une seconde chance aux questions restées sans réponse, dit Rémy Oudghiri, elle fait dialoguer avec les absents ou entendre ceux qui ne sont plus, ouvre les pièces fermées que chacun porte en soi. L'aube agit-elle comme un livre dont nous tournerions une page chaque matin, avec ennui ou avec envie, comme il le laisse supposer : « C'était tour à tour un jardin où je contemplais l'éveil de l'univers, une bibliothèque où je lisais, un cinéma où j'apprenais à voir, un terrain de jeu où j'apprenais à tout recommencer. Comme les livres l'aube était la vie démultipliée » (p. 99). Il en est donc de ce petit livre comme de l'aube : un territoire à explorer, un temps à retrouver.
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