Aimeriez-vous vivre dans un monde où le sexe aurait pris le rôle social de la nourriture ? Où il serait naturel de baiser 3 fois par jour, avec conjoint, collègues ou amis. Où manger ferait partie de la sphère intime. C'est la dystopie que
Juliette Oury a imaginée dans son roman
Dès que sa bouche fut pleine. Nous suivons la vie de Laetitia et Bertrand, leur couple, les soirées où l'on se retrouve pour se mélanger et non pour un bon repas entre amis. Une soirée sans chichi, à la bonne banquette ! Il y a aussi la vie professionnelle : point de salle café mais une salle détente avec distributeurs de capotes. Comme la nourriture est tabou, on en parle beaucoup.Notamment des réseaux de cuisine clandestine, et de l'arrestation de madame Reine Claude. Pour se nourrir, on mange des barres sans arômes. Alors il y a ceux qui suivent les règles et ceux que ça énerve, comme Laurent : "Pourquoi un tel tabou ? Pourquoi je n'ai pas le droit de partager avec des collègues la joie que j'ai eu à manger de la salade avec un mec super samedi soir." Laetitia, quant à elle, brûle d'avouer à son copain qu'elle a faim, que son corps brûle de découvrir des saveurs qui la transportent. Comme elle culpabilise, et avouons-le, ne semble pas s'épanouir dans son couple, elle décide de contacter une cuisinière (honte à elle) dans le plus grand secret. L'infidélité en somme. Alors que Laetitia revient d'un cours de cuisine clandestin, elle se fait agresser par le chauffeur de taxi : "Allez, faites pas votre timide. Y en a une qui a cuisiné, ce soir. Ah ! On me l'a fait pas à moi. Vingt-cinq ans de taxi. Je peux vous dire que j'en ai senti des jeunes femmes comme vous qui rentraient tard le soir. Faites pas cette tête, c'est pas pour vous juger, mais je la sens d'ici votre odeur de graillon…
– Je ne vous permets pas…
– Si ça vous gêne de parler cuisine, faites quelque chose, prenez une douche ! Vous croyez que c'est pas de la provocation ce que vous faites ? Vous puez l'huile de friture à 10 bornes…Vous êtes là à faire la sainte-nigoûte dès qu'on parle de bouffe ! Truc de gonzesse…". Lorsqu'elle ose un jour, manger du chocolat, c'est une découverte interdite qui va changer sa vie. Elle avait déjà entendu parler du chocolat et du tabou qui pesait sur cet aliment, sans autre fonction que le pur plaisir, à cause de sa valeur nutritionnelle tellement médiocre. Son père, un jour, le regard sévère, avait dit à la jeune adolescente qu'elle était alors, que le chocolat rendait dépendant, qu'il dévoyait et qu'il ne fallait jamais commencer.
Juliette Oury a pris un malin plaisir à décrire avec précision chaque ressenti gustatif des aliments illicites évoqués. L'inversion entre appétit et désir fonctionne car il y du commun entre les deux. C'est le premier roman qu'écrit cette énarque devenue directrice du pôle accompagnement de l'Agence de l'innovation santé. C'est un roman drôle, où l'humour est basé sur de nombreux jeux de mots. Mais ne vous y méprenez pas. Au-delà du côté sarcastique, l'autrice cherche à pointer du doigt notre société actuelle. Pour elle, il y a encore un tabou du sexe.
Juliette Oury interroge nos façons de vivre. A travers son héroïne, elle parle de la libération de la femme. Et c'est en cela que le roman m'a plu. Babeth pour les liseuses de Bordeaux
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