Prince captif, tome 2 : Le guerrier

J'ai récemment appris que parfois, il valait mieux frapper le mur jusqu'à ce qu'il cède.

S'il n'avait pas cette bouche de pute à soldats, je penserais qu'il est puceau.

C'était un cours magistral d'humiliation publique.

Son attention était divisée. Il écarta une épée de son bouclier, tua un soldat, et durant tout ce temps, son esprit était ailleurs, attendant le moment où les rangs de Touars se fendraient. C’était le plus difficile, lorsqu’on commandait depuis le front : survivre instant après instant, tout en examinant, d’un œil critique, l’ensemble du combat. Et cependant, c’était un sentiment grisant, qui donnait l’impression de se battre avec deux corps différents, à deux échelles.

Et il trébucha, alors que l’homme qui le maintenait lui tordait le bras derrière le dos, puis saisissait une poignée de ses cheveux dorés et lui basculait la tête en avant. Laurent ne lutta pas lorsqu’il lui attacha les mains à l’aide de lanières de cuir, puis plaça une autre bande plus large sur ses yeux. Il demeura immobile, tête baissée. Ses cheveux d’or tombaient sur son visage, à l’exception des mèches que l’homme serrait dans son poing. Il ne résista pas non plus lorsqu’il fut bâillonné, malgré sa surprise ; Damen le vit redresser légèrement la tête, par réflexe, au moment où on lui fourra la boule de tissu dans la bouche.

— Le prince se montre bien léger, déclara le conseiller Guion en regardant Damen, et semble répugner à porter le moindre jugement défavorable sur Akielos.
— Je ne reproche pas aux insectes de bourdonner lorsque quelqu’un renverse leur ruche, répliqua Laurent. Je préfère me demander qui a souhaité me faire piquer.

Laurent dormait comme si la présence de Damen dans la pièce était insignifiante, comme si Damen n'était pas plus dangereux pour lui qu'un meuble.

Ce n'était par par confiance. C'était le résultat d'une analyse rationnelle des intentions de Damen, assortie de la certitude arrogante qu'il ne pouvait pas se tromper.

Damen fit un pas en avant.
— Peut-être…, commença-t-il.
Il y eut un autre bruit dans l’escalier, un fracas de pas précipités. Jord se retourna. Guymar et un autre soldat entraient dans la section qu’il avait interdite à tous. Damen se passa une main sur le visage. Tous les hommes du fort avaient décidé de venir dans cette section.
— Capitaine. Je vous demande pardon de désobéir à vos ordres. Mais il y a un problème, en bas.
— Un problème ?
— Certains soldats se sont mis en tête de s’amuser avec un des prisonniers.
Le monde n’avait pas disparu. Le monde revenait sans y avoir été invité, avec ses soucis : les manquements à la discipline, les devoirs d’un capitaine.
— Les prisonniers doivent être bien traités, déclara Damen. Si certains des hommes ont trop bu, vous savez comment les maintenir à distance. Mes ordres étaient très clairs.
Il y eut un moment d’hésitation. Guymar était un des hommes d’Enguerran, un soldat de carrière, poli et professionnel. C’était pour ces qualités que Damen l’avait promu.
— Capitaine, vos ordres étaient très clairs, mais…, dit Guymar.
— Mais ?
— Certains des hommes semblent croire que Son Altesse approuvera leurs actes.

DAMEN ENTENDIT LAZAR DEMANDER À JORD :
— Alors, c’est comment de se faire sucer par un aristocrate ?
Il s’était écoulé un jour depuis la chute de pierres à Nesson, et ils l’avaient passé à chevaucher vers le sud. Ils étaient partis tôt, après avoir répertorié les dégâts et réparé les chariots. À présent, Damen, assis avec une poignée de soldats autour d’un feu de camp, savourait quelques instants de repos. Aimeric, dont l’arrivée avait provoqué la question de Lazar, s’était assis à côté de Jord.
— C’est merveilleux, répondit Aimeric à la place de Jord.
Tant mieux pour toi, pensa Damen. Jord esquissa un sourire, mais il leva son verre et but sans rien dire.
— Comment c’est de se faire sucer par un prince ? demanda Aimeric.
Et Damen s’aperçut que l’attention de tous était fixée sur lui.
— Je ne le baise pas, déclara-t-il avec une grossièreté délibérée.
C’était peut-être la centième fois qu’il répétait cette phrase, depuis qu’il avait rejoint la troupe de Laurent. Il l’avait assenée d’un ton ferme, afin de clore la conversation. Mais bien sûr, il n’en fut rien.
— Ça, reprit Lazar, c’est une bouche que j’aimerais bien fourrer. Il te donne des ordres toute la journée, mais à la fin, tu as le droit de le faire taire.
Jord ricana.
— Il te lancerait un seul regard, et tu te pisserais dessus.
Rochert renchérit :
— Ouais. Moi, je ne pourrais pas bander. Tu vois une panthère ouvrir la gueule, tu ne lui présentes pas ta queue.
Ces paroles recueillirent l’approbation générale, mais le débat s’orienta vers un autre point :
— S’il est frigide et qu’il ne baise pas, je ne vois pas l’intérêt. Un puceau au sang froid, c’est le pire coup possible.
— Si tu dis ça, c’est que tu n’en as pas connu. Ceux qui sont froids à l’extérieur sont les plus chauds une fois qu’on y est.
— C’est toi qui le connais depuis le plus longtemps, dit Aimeric à Jord. N’a-t-il vraiment jamais pris d’amant ? Il a dû avoir des prétendants. L’un d’eux a bien dû parler.
— Tu veux des potins de cour ? s’étonna Jord d’un ton amusé.

Damen connaissait son corps, à présent. Il connaissait la surprise que faisaient naître en lui la douceur des caresses. Il connaissait son assurance indolente et dangereuse, ses instants d'hésitation... ses beaux, ses tendres instants d'hésitation. Il connaissait sa manière de faire l'amour, mélange de connaissances précises et de réticence presque timide.