Quand il sortait dans la rue par des matins chauffés depuis l'aube, comme celui là, traînant le goût solitaire du café, sans femme derrière lui et sans rien devant pour l'aimanter vers l'avenir, le Conde se demandait qu'elle était la raison dernière qui le poussait encore à mettre les montres à l'heure et à régler les sonneries des réveils, alors que le temps était, justement, la manifestation la plus objective de son vide.
J'ai continué à écrire, parce que, un jour on se souviendra de l'écrivain et personne ne sera capable de mentionner le triste fonctionnaire qui l'a harcelé.
Le Conde alluma une cigarette pour essayer de faire céder la dernière digue de sommeil, et ce fut alors qu'il se souvint.
Mais tu te rends compte qu'ils savent tout ? C'est ce qui est effrayant, Conde, on sent tout à coup qu'on vit dans un bocal transparent, ou dans une éprouvette, je ne sais pas, et qu'on te voit chier, pisser et même te tirer les crottes du nez, parce que je crois qu'ils savent même si on en fait une petite boule pour les jeter ou si on les colle sous la table : ça m'a vraiment terrifié.
Le père Mendoza sauta de l'autel du souvenir à la porte de la réalité où le Conde avait frappé deux fois.
Que c’est bon de pisser lorsqu’on en a envie.
– Vous haïssez les policiers ?
[…]
– Mais non, mon fils, non. Vous n’êtes pas les pires. Écoutez, les policiers font leur travail de policiers, ils interrogent et mettent les gens en prison, et ils le font même bien, vraiment. C’est une vocation répressive et cruelle, pour laquelle il faut certaines aptitudes, et vous me pardonnerez. Comme, par exemple, être prêt à frapper une autre personne pour la faire obéir, ou anéantir sa personnalité par la peur et la menace… Mais ils sont socialement indispensables, tristement indispensables.
– Et alors ?
– Les salauds ce sont les autres : les policiers pour leur propre compte, les commissaires volontaires, les poursuivants spontanés, les délateurs sans salaire, les juges par goût, tous ceux qui se croient maîtres de la vie, du destin, et même de la pureté morale, culturelle, voire historique d’un pays…
Mario Conde est une métaphore, pas un policier, et sa vie se déroule, tout simplement, dans l'espace possible de la littérature.
D'après les pages internationales du journal le monde semblait être plutôt mal en point, mais les pays socialistes - malgré les difficultés et les incessantes pressions extérieures - étaient décidés à ne pas abandonner la voie ascendante et victorieuse de l'histoire.
Dans la zone du crime on n'avait rien trouvé de particulièrement révélateur : les détritus que l'on retrouve toujours dans ce genre d'endroits ; une bouteille, une capote usagée, des mégots, une clé rouillée, des restes de cigares sans marque et avec marque : Rey del Mundo, Montecristo, Coronas, et un peigne en plastique auquel il manquait six dents et même une dent de sagesse...