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Critique de berni_29


La Nuit a dévoré le monde, j'ai dévoré ce texte avec gourmandise.
Je ne pensais pas qu'une histoire avec des zombies m'enchanterait autant. Mais revenons à la genèse de ce récit. Un jeune écrivain en mal de succès, Antoine Verney, se retrouve à une soirée dans l'appartement parisien d'une amie, Stella, dont il est amoureux. Tout le monde boit beaucoup, lui aussi.
Le lendemain matin, c'est plus qu'une gueule de bois qui le sidère. Sortant de la chambre où il avait dormi, il découvre un carnage, le cadavre d'un homme décapité… Les autres personnes de la soirée semblent s'être volatisées. Il y a du sang partout, sur le sol, sur les murs…
C'est en jetant un coup d'oeil depuis le balcon de l'appartement, au quatrième étage, qu'il découvre l'horreur de la situation. Des silhouettes déambulent telles des zombies, mais non ! Pas telles des zombies, ce sont des zombies ! Il assiste alors, médusé, impuissant, à des scènes d'horreur dignes d'un film d'épouvante.
Le jeune homme décide de rester pour l'instant dans l'appartement qui lui sert de forteresse, de protection, de camp de retranchement.
Le reste de l'histoire est un récit délectable, que j'ai dévoré d'une traite…
Amateurs de récits gores, vous en serez ici pour vos frais, le propos est ailleurs, même si de temps en temps nous vivons de près quelques scènes de frayeur où il ne fait pas bon fréquenter la nouvelle population du voisinage qui se multiplie comme des cellules malignes…
Antoine Verney organise le siège, avec ce qu'il a à proximité pour tenir, survivre, de l'eau, du vin, des conserves, des munitions…
Alors, bien sûr, dans le ton empli d'humour et d'ironie, il est impossible de ne pas y voir une satire de notre monde actuelle. Martin Page s'en donne ici à coeur joie.
« Ils n'ont pas besoin d'être intelligents pour représenter un danger : leur nombre est leur intelligence. »
Antoine Verney devient une sorte de Robinson Crusoé, reclu dans cet appartement désert. Alors il cogite forcément et c'est jubilatoire lorsqu'on compare le monde d'avant à celui du monde d'après. On se met à relativiser beaucoup de choses. N'avons-nous pas été tenté de le faire naguère, il y a deux ans et peut-être encore maintenant…?
Antoine Verney se sentait comme un looser, un perdant dans le monde d'avant, côté travail, côté sentimental. le voici brusquement confronté à un monde singulier auquel enfin il a presque prise, il peut agir, même si le danger alentour est terrible, terrifiant.
Oui il peut agir enfin avec sa carabine depuis le balcon en dézinguant de temps en temps l'ennemi, des zombies, visant leurs têtes. Viser l'ennemi, avoir la main sur leur destin, tandis que dans sa vie il n'a jamais pu agir sur les prédateurs qui dictaient son existence.
Et puis il arrive qu'il communique avec eux d'une façon insolite, s'attache même de loin, depuis son balcon, à certains d'entre eux, leur attribuant des prénoms, les saluant d'un geste touchant…
Mais dans le monde d'avant, confronté à un univers de requins, il n'avait pas la moindre prise sur son existence.
« Ce ne sont des prédateurs, mais des êtres ridicules et vains, des appétits sur pattes. Pas très différents des gens que j'ai connus avant et leurs appétits d'argent, de sexe, de pouvoir. »
Alors…
Survivre, continuer, mais d'une toute autre manière qu'auparavant…
Mais l'essentiel de ce texte est ailleurs…
C'est un merveilleux pas de côté engagé sur nos quotidiens parfois dérisoires, où la perte de sens résonne comme un caillou dans la chaussure.
Ce sont les variations douces-amères du regard désabusé d'un citoyen du monde sur ses contemporains...
" Les zombies arrivent au moment juste. C'était leur tour d'entrer sur scène. Ils viennent terminer la destruction de l'humanité que nous avions commencée avec les guerres, la déforestation, la pollution, les génocides. Ils réalisent notre plus profond désir. Notre propre destruction est le cadeau que nous demandons au Père Noël depuis la naissance de la civilisation. Nous avons enfin été exaucés. "
J'ai adoré le cynisme qui tient le texte et qui en dit long sur l'humanité et ses dérives.
« L'absence d'intelligence ne vous empêchera pas de conquérir le monde, en revanche vous n'arriverez pas à attraper le pot de confiture posé en haut de l'armoire. Putain d'ironie. »
Les zombies qui traversent les rues de Paris et le reste du monde sont-ils des êtres si imaginaires que cela ? Ne les avons-nous pas mérités ? Ne leur ressemblons-nous pas au fond ?
J'ai aimé arpenter les toits de Paris avec le narrateur, m'enivrer d'azur, de battements d'ailes, appréhendant cette solitude presque mystique tandis que des oiseaux s'approprient l'espace d'une autre manière et qu'enfin nous les regardons, prenons conscience qu'ils existent.
Alors, le bonheur d'une rencontre, l'amour qui peut naître, même éphémère, peuvent transformer l'aventure solitaire en ce monde en un véritable guide de survie…
Parfois, au fil des pages, je me demandé avec effroi et ironie : " Et si Antoine Verney me ressemblait ? "
J'ai été, contre toute attente, emporté dans ce roman à l'écriture inspirante, soutenue, addictive...
La fin de ce récit est juste belle.
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