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Citations sur L'élimination (138)

Bien sûr, je dresse un portrait idéalisé de mon père, tant il m’a impressionné par sa force morale face aux Khmers rouges. Dans nos sociétés démocratiques, l’homme qui croit à la démocratie nous semble ordinaire. Voire ennuyeux. Aussi dans mon bureau parisien, je garde devant moi son portrait un peu jauni : qu’il y ait une puissante banalité du bien. Ce sera sa victoire.
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Je ne comprenais pas pourquoi personne ne venait à notre aide. Pourquoi nous étions abandonnés. C'était insupportable, la souffrance, la faim, la mort partout. Et le monde se taisait. Nous étions seuls. Il n'y avait ni parachute ni appareil photo, et j'ai pleuré.
Quand je suis arrivé en France, je me suis souvenu de cet épisode. Je me suis appliqué et j'ai écrit une longue lettre au secrétaire général de l'ONU. Je lui ai raconté ce que j'avais vécu : je concluais en demandant pourquoi rien de sérieux n'avait été entrepris pour le Cambodge. Pourquoi j'avais été si seul, moi l'orphelin et l'enfant. Pourquoi l'inaction était impardonnable. Pourquoi nul ne pouvait vivre avec ma mémoire.
Je n'ai jamais reçu de réponse de sa part. Rien. Pas même un simple mot officiel. Le jeune garçon blessé que j'étais n'a pas accepté ce silence : l'adulte que je suis, moins encore.
Qui était secrétaire général de l'ONU en 1979, et depuis 1971 ? Kurt Waldheim, qui fut soldat sous les ordres du "boucher des Balkans", à partir d'octobre 1943, et eut sans doute un rôle dans la sanglante opération Kozara. Sans doute pas un criminel de guerre. Ni un nazi. Mais certainement pas un homme de paix. Alors aujourd'hui, je donne le nom de celui qui fut à ce poste influent, ce nom de compromission et de lâcheté.
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Contrôler les corps, contrôler les esprits : le programme était clair. J'étais sans lieu ; sans visage ; sans nom ; sans famille. J'étais dissous dans la grande tunique noire de l'organisation.
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Dans la révolution khmère rouge, ce grand corps qu'est le peuple doit être rassemblé, uni, homogène : que chaque individu soit méconnaissable. Le peuple doit donc être purgé de ses ennemis : impérialistes, Sino-Cambodgiens, Vietnamiens, Chams. Mais le combat est infini contre l'autre caché en soi. Les "techniciens de la révolution" définissent ainsi, au sein du peuple, un autre peuple : ce "nouveau peuple" est un corps nuisible. En fait un corps étranger. En fait le peuple devenu son propre ennemi. Reste à amputer ce membre. L'inventaire, en son sein, d'un groupe humain considéré comme différent, dangereux, toxique, qu'il convient de détruire : n'est-ce pas la définition même du génocide ?
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J'ai mangé des racines de papayer ; du bananier ; et de la peau de vache séchée. Oui, de la peau de vache. Comme le héros de La ruée vers l'or, qui cuit longuement ses chaussures avant de découper lacets et semelles, en évitant les clous. J'ai mâché cette peau immangeable pendant des heures. Je n'en pouvais plus, mes mâchoires devenaient cuir et bois. Mais cette peau grillée, elle sentait bon la vache. Alors je mâchais.
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Disons que c’est un chapitre compliqué de la vie. Et que je ne pourrai jamais pardonner. Pour moi, le pardon est très intime. Seules les politiques s’arrogent le droit de gracier ou de pardonner au nom de tous – ce qui est inconcevable pour un crime de masse ou un génocide. Je ne crois pas à la réconciliation par décret. Et tout ce qui se résout trop vite m’effraie. C’est la pacification de l’âme qui amène la réconciliation, et non l’inverse. Je crois à la pédagogie plus qu’à la justice. Je crois au travail dans le temps, au travail du temps. Je veux comprendre, expliquer, me souvenir – dans cet ordre précisément. (p. 304)
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Je n’ai que des traces. Je suis dans la douleur. C’est pourquoi j’aime les courts textes de Charlotte Delbo. Il m’a toujours semblé que ce régime, affirmant fonder une société égalitaire, ordonnée, profondément juste et libre, déchirant pour cela l’ancienne société, avait entretenu un flou inhumain : chacun peut disparaître à chaque instant, autrement dit : être déplacé; renommé; exécuté. Et il ne reste aucune trace. Je crois qu’il y a un nom pour ce régime : la terreur. (p. 186)
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Souvent des détails me reviennent, des images, des paroles. Je suis projeté dans le passé. Les Khmers rouges ne me quittent pas. Au réveil, je sens ma main peigner mes cheveux et arracher une pleine poignée de poux. Ou je suis pris de vertiges et je dois m’allonger. Ce matin n’est pas pour moi. (p. 177)
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Je sais aujourd’hui que la vitesse est un facteur décisif – qui semble ne pas peser, rétrospectivement. Nous n’avons pas eu le temps d’être fascinés, ou même convaincus. Nous avons été immédiatement déplacés. Affamés. Séparés. Terrorisés. Privés de parole et de tous droits. Nous avons été submergés par la faim et la peur. Et toute ma famille a disparu en six mois. (p. 100)
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Définir les êtres, les classer, c’est les réduire au classement même – autrement dit : à son désir. Définir les êtres, ce n’est pas travailler à la justice, à l’égalité, à la liberté, ce n’est pas préparer un horizon de lumière. C’est organiser l’anéantissement. (p. 97)
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