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Critique de Rolienne


La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, 2012

Cet écrivain a un style qui vous saisit l'esprit dès les premières lignes. le milieu Germanopratin où se déroule le roman peut paraître restreint et sans grand intérêt. Que l'on fasse alors l'autodafé de Proust à cause de sa peinture des salons de Saint-Germain… Chez Jean-Marc Parisis, tout tient au style qui transmet un regard sur les êtres et notre temps. Comédie de caractères et pointe acérée qui dévoile l'époque. Au-delà de la transcription des torts et des travers contemporains, on y boit une simplicité pleine d'espérance, celle du héros qui sait quoi et qui aimer, et va jusqu'au bout de ses goûts.

Et puisque les citations sont des invitations à lire, en voici quelques-unes :
«(...) mort de la littérature, du politique, de l'histoire, de l'esprit, de la musique, du football, mort de tout. On spéculait aussi spécieusement sur la vogue d'un « sentiment apocalyptique ». On en bouffait, de l'Apocalypse. Beaucoup s'en gavaient en attendant le Déluge. L'épilogue du Nouveau Testament profitait aux Philistins, aux marchands d'épouvante, aux romanciers engagés. Un bon produit financier, l'Apocalypse, à valeur d'obligation à la bourse des foutaises et des tartufferies. En vérité l'Apocalypse avait déjà eu lieu. L'horreur avait déjà eu lieu. L'horreur du vingtième siècle n'était pas rachetable.», La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, pages 73-74.

A propos des Champs-Elysées, « (…) Baudelaire répétait avec violence « Je vous dis que ça sent la destruction .(…) Ni la mort, ni l'Apocalypse, la destruction. Quoi qu'il en coûtât, j'aimais vivre à cette époque de destruction. La destruction était passionnante. C'est elle qui changeait la vie.» La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, page 74

« Les sentimentaux n'avaient pas l'intelligence des sentiments. Ils compensaient par le lyrisme, le baroque, l'outrance. Ils exaltaient ou il offensaient. Gadeux m'avaient offensé en croyant que je ne verrais pas clair dans un jeu où il se défaussait de son incurie. Il m'avait fait un drame, et c'était le sien. Enfermé dans un rapport pictural à la langue, il la contemplait mieux qu'il ne la comprenait, la reproduisait plus qu'il ne l'écrivait, l'autopsiait au lieu de l'animer. Soumis à la langue, il l'imitait, l'idolâtrait. Gadeux réclamait des maîtres, des autorités. D'où son culte des Classiques et le mimétisme à l'oeuvre dans ses catalogues. » La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, page 84

« Qu'avait fait Gadeux de toutes ces années ? Il avait écrit sans doute, à sa façon toute judiciaire, minutant comme un huissier, montant des dossiers, archivant les pages comme les photos qui lui servaient à barbouiller son impuissance. Ecrit en indic, en voyeur, contre la vie et pour la mort, la postérité. En planque dans le posthume, comme le modèle Saint-Simon, mais sans avoir vu le roi, ni fréquenté la cour.
L'extraordinaire chroniqueur de la cour de Louis XIV retrouvait d'ailleurs la cote dans les cénacles conservatoires de la mélancolie française. Symptôme du refoulé courtisan national, Saint-Simon fascinait d'avoir côtoyé les puissantes et clinquants, les people du Grand siècle. Toute cette vie d'étiquettes, de grenouillages, de reptations, revanchée, rédimée par le pouvoir absolutoire de la langue dédouanait, rassurait, faisait rêver – de Saint-Simon à Céline, l'axe d'un certain génie français passait par manifestement par une forme d'allégeance, de collaboration, de dénonciation sociale ou raciale, comme si les révolutions langagières devaient toujours se payer d'un tribut de veulerie. Au dix-septième siècle, on trouvait pourtant plus fort que le petit duc. Dans le même registre de langue, mais en plus nuancé, plus riche, plus profond, plus inquiétant. de l'homme libre, sachant rire de lui comme des autres, du frondeur définitif qui avait projeté d'assassiner Richelieu et connu les prisons de Mazarin, du cardinal de Retz, on parlait moins, évidemment. »La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, page 85-86

« Et toutes les femmes décisives, impératives, catégoriques étaient gentilles. La gentillesse n'était pas toujours la douceur, et jamais la faiblesse. C'était un alliage rare de sensibilité, de distinction et d'intelligence, qui pouvait se révéler dangereux, fatal, comme dan le cas de Marilyn Monroe. Antonio Tabucchi l'avait bien compris : ‘Les personnes trop sensibles et trop intelligentes ont tendance à se faire du mal à elles-mêmes. Parce que ceux qui sont trop sensibles et intelligents connaissent les risques que comporte la complexité de ce que la vie choisit pour nous ou nous permet de choisir, il sont conscients de la pluralité dont nous sommes faits non seulement selon une nature double , mais triple, quadruple, avec les mille hypothèses de l'existence. Voilà le problème de ceux qui sentent trop et qui comprennent trop : que nous pourrions être tant de choses, mais qu'il n'y a qu'une vie et elle nous oblige à être une seule chose : cela que les autres pensent que nous sommes.' La conclusion de Tabucchi me paraissait trop dramatique, contredire son subtil développement. Si les personnes trop sensibles et intelligentes étaient plus que les autres conscientes de la pluralité de leur nature et des mille hypothèses de l'existence, en quoi ce savoir devait-il forcément plier devant l'unicité de la vie et les enfermer dans l'opinion des autres ? Ce savoir permettait au contraire de se libérer des autres, de s'en échapper, en volant sur les ailes d'un moi multiple sur les mille figures sans y obliger. Ce savoir étant une donnée, l'espérance était à prendre ou à laisser. » La recherche de la couleur , Jean-Marc Parisis, Stock, 184 pages, page 138-139

Patricia JARNIER -Tous droits réservés - 2012
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