Les jours et les besognes prolifèrent sans transition, le temps est une fièvre constante, harcelante, qui ne laisse presque jamais de répit et presque par hasard, tant le hasard n’a rien à voir ici avec un destin, une destinée. C’est entre autres de cela que ces gamins sont exclus : du possible, de toute utopie.
– La vie l’est amère pour qui qu’a des pieds mous.
Il frappait l’eau de ses bras comme de grandes spatules, l’aplatissant, et faisant gicler des seaux d’écume, il nageait la tête sous l’eau et, relevant son derrière et ses flancs comme un canard, faisait la planche à la surface, le ventre en l’air, chantant à gorge déployée. Puis en une brusque volte-face, il revint vers le plongeoir, y grimpa tout dégoulinant et, se donnant plein de grands airs devant les gamins qui le regardaient bouche bée, il replongea avec un petit saut de l’ange.
Fagotés comme ils étaient, ils n’avaient que l’embarras du choix : le Metropolitan ou l’Europe, le Barberini ou le Capranichetta, l’Adriano ou le Sistina. Quoi qu’il en soit, ils sortirent tout de suite, car qui va en balade lèche, qui reste chez soi sa langue dessèche. Ils étaient de très bonne humeur et avaient envie de plaisanter, sans songer même de loin que les joies sont de courte durée en ce bas monde, et que la chance tourne…
Les véritables lieux sont ceux de l’immense banlieue qui se bâtit à l’extérieur de la ville, sans plan du territoire et encore moins urbanistique, plus des zones que des banlieues d’ailleurs, encore que cette différence paraisse aujourd’hui très aléatoire. La description infiniment redite de ces amas de bâtisses et de gratte-ciel parcourt névralgiquement le livre, comme pour arrimer une géographie et une cartographie à ces lieux sans histoire, à ces non-lieux. Les édifices déjà existants se délabrent et tuent, les nouveaux, précocement vieillis, ressemblent à des fourmilières, à des termitières, et leurs habitants à des grouillements de bêtes enfouies. C’est comme s’ils n’étaient habités par personne, à peine y est-on que l’envie de s’en échapper devient irrésistible et tout finit par « (se) passer » dans l’autre indéfini que sont les rues, les quartiers. Ainsi, il n’y a rien d’intimiste dans Les Ragazzi : tout se déroule à la belle étoile, pour la simple raison que ces intérieurs sont affectivement et culturellement invivables.
… comme femme humaine elle a même pu exister, du point de vue de la sainteté et de la virginité y s’peut qu’non… La sainteté ça peut êtr’ vrai, mais la virginité ! Main’nant qu’ils ont s’inventé le fait des enfants artificiels ‘vec les éprouvettes, mais même qu’une femme se fait l’enfants ‘vec les éprouvettes, qu’elle reste pas vierge… Pis qu’on a la foi ‘nvers le Christ, ‘nvers Dieu, ‘nvers tous les autres… Et si que tu te mets sur l’raisonnement de la foi alors t’y crois à la virginité de la Madone, mais scientifiquement moi je crois qu’on peut pas l’démontrer…