De cette auteure, j'ai commencé par "
La maison des hollandais", que j'ai beaucoup aimé tout en exprimant une réserve sur le style d'écriture, à savoir que Patchett pratique ce que j'appellerais la "fragmentation temporelle", à savoir qu'elle passe régulièrement d'un époque à l'autre ou, plutôt, à beaucoup d'autres. Il ne s'agit pas seulement de passer du présent au passé mais c'est beaucoup plus complexe que ça, à un point tel qu'on a du mal au départ à réaliser où se situe le présent. Cela m'avait quelque peu dérangée dans "
La maison des hollandais" mais pour aborder ce roman-ci, je dirais que l'habitude a été prise et cela ne m'a plus gênée du tout. Je dirais même que j'ai compris pourquoi l'auteure procède de la sorte: cela lui permet, dans un format de roman "standard", de créer l'impression d'une saga s'étendant su
r une longue période, en ouvrant de nombreuses fenêtres temporelles. On recueille ainsi de nombreuses bribes des histoires des uns et des autres sans en avoir le détail, à nous de reconstruire avec l'apport de notre propre expérience de vie. Cette manière d'écrire crée aussi une sorte de tension voire de suspense car l'on passe d'une bribe à l'autre sans avoir épuisé le sujet. C'est très "clever" mais il faut s'y habituer, raison pour laquelle je conseillerais de lire d'abord "
La maison des hollandais" où le nombre de personnages et de lieux est plus réduit et donc c'est un peu plus simple de s'y retrouver.
"
Orange amère" est une sorte de roman choral, multi-temporel et multi-géographique, sur le thème des heurts et malheurs de deux voire plusieurs familles recomposées aux Etats-Unis entre les années 60 et nos jours. Bert Cousins et sa femme Teresa Cousins sont un jeune couple doté de trois jeunes enfants (Cal, Holly et Jeannette) un quatrième (Albie) étant en route. Fix et Beverly Keating ont deux petites filles, Caroline et Franny. Les deux maris se connaissent vaguement via le boulot mais Bert se pointe au baptème de la petite Franny sans y avoir été invité, par pur ennui dans sa muflerie de mâle auto-satisfait des années 60, reprochant à sa femme de ne plus afficher la ligne de leur mariage au terme de quatre grossesses rapprochées. Au baptème coup de foudre pour la belle Beverly qui, elle, a réussi à conserver sa ligne et ressemble à
Catherine Deneuve. le roman nous épargne les épisodes des divorces respectifs pour se concentrer sur le destin des six enfants, ballotés entre la Californie et la Virginie et dont les beaux-parents se seraient bien passés, d'autant plus que le plus jeune, Albie, apparaît incontrôlable. On voit passer les excès d'une Amérique individualiste, où des parents auto-centrés aussi parfois par nécessité (bosse ou crève dans un pays dont le système social est pour le moins déficient) laissent leurs enfants à eux-mêmes dans un contexte où les drogues légales et les armes pullulent. Un drame va se produire. Il aura les allures d'une explosion atomique dont le souffle se fera ressentir des années plus tard à la suite d'une rencontre de Franny...
On songe, le coeur serré, aux drames que l'on a pu éprouver dans sa propre famille et aux secrets qui resurgiront peut-être (ou pas) un jour. Chacun des enfants réagira différemment au drame et on s'identifie forcément à l'un ou l'autre d'entre eux. Au final on se sent embarqué au sein de ces familles dont on ne peut considérer chacun des membres qu'avec une certaine bienveillance en dépit des antipathies qu'on aurait pu ressentir au départ... Très beau et intelligent... Patchett est ma découverte 2021