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Critique de lafilledepassage


Troisième et dernière excursion estivale dans la poésie italienne. Après l'industrieuse Bologne de Nella Nobili et la sensuelle Sicile de Goliarda Sapienza, place à Pavese et au Piémont, direction les Langhe et aussi la mystérieuse Turin.

Pourquoi cette précision du lieu tout à coup ? C'est que pour Pavese c'est une donnée essentielle de sa poésie, qui aurait été différente s'il était né à Rome, à Susa ou à Castellabate … Son pays natal, il décrit avec un réalisme sans concession, sans fleurs et fruits pour le rendre plus lyrique. C'est un pays rugueux comme les hommes qui y habitent, un pays de côteaux striés de vignes et de terre brûlée par le soleil, où « la chaleur rend fou jusqu'aux animaux».

Et puis il y a Turin, la ville qu'on voit s'illuminer du sommet des collines, à la nuit tombante. Turin, l'inconnue qui attire les jeunes paysans des alentours, même si on ne quitte jamais vraiment les Langhe, « cela vaut la peine de revenir, peut-être en ayant changé. »

Turin, là où l'herbe est remplacée par les rails. La ville où les passants sont des anonymes sans histoire, sans visage et sans corps. La ville où chacun est seul pour supporter le poids de la vie. C'est aussi la brume du fleuve qui lave les misères, les espérances trahies et la faim, et l'usine et les discours politiques, toujours trop longs :

« Il vint lui aussi à Turin, cherchant à s'y faire une vie,
Et y trouva l'injustice. Il apprit à travailler
En usine sans sourire. Il apprit à mesurer
Sur sa propre peine la faim des autres,
Et il trouva partout l'injustice. »

Turin, c'est aussi une certaine idée de la femme, loin des clichés en cours dans les campagnes, où la femme est soit « calculatrice, impitoyable et mesquine » soit elle ne compte pas, « elle fait des enfants et ne dit rien ». Non les Turinoises sont « malicieuses, habillées pour être regardées, elles marchent seules. […] Elles connaissent la vie à fond. Elles sont libres.» Prenez par exemple, Deola, qui fume paisiblement et respire le matin. C'est presque une dame, qui surtout n'attend personne.

Ce recueil est une série de petits tableaux ou de petites scènes de court-métrages, filmés en plans fixes ou lents. On y voit ce diner triste, où « il reste du pain et du raisin sur la table blanche / les deux chaises se regardent en face, désertes.». Ou les sablonniers sur le fleuve, au crépuscule, « assis à la pointe des bateaux, une braise de feu leur brûle les lèvres ». Ou la maison en construction où « les briques découvertes se remplissent d'azur, pour l'heure où les voûtes seront fermés ». C'est une poésie d'atmosphère, de silence et de brume, une poésie empreinte aussi de nostalgie, de solitude et d'indolence.

Je referme ce livre et m'en vais placer un disque du regretté Gianmaria Testa, un autre artiste de cette région austère du Piémont à la voix rocailleuse, et me servir un petit verre de Nebbiolo.
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