AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de batlamb


Pour développer ce roman, Viktor Pelevine a fait appel à la méthode argile. Il travaille de façon empirique et itérative, en incrémentant à chaque chapitre un nouvel environnement de test pour les personnages et le lecteur. La communication est un enjeu vital de ce projet, car les personnages ne cessent de se livrer à des dialogues sur le sens de ce qu'ils entreprennent. Ils se développent ainsi eux-mêmes, dans une intégration continue de nouveaux principes. le héros et certains personnages secondaires sont des acteurs transverses de ce projet, puisqu'ils communiquent avec plusieurs réalités différentes, parfois en même temps.

Voilà c'est ça la méthode argile. Elle a ses avantages, mais elle est difficile à équilibrer : elle peut générer beaucoup d'entropie et de dysfonctionnements, synonymes de défaillances du système. du point de vue du client (le product owner, celui qui achète ce livre), il faut constater que le récit ne tient pas très bien sur la durée et finit par brasser beaucoup de vide, exactement comme le jargon dont je viens de vous bassiner sur deux paragraphes (bravo si vous avez tenu jusque là).

Tout cela pour vous faire comprendre que ce premier long roman de Viktor Pelevine tombe dans le double écueil du verbiage et de la fumisterie. L'intrigue est un gigantesque gloubi-boulga mélangeant les repères chronologiques et symboliques de la Russie du vingtième siècle pour les remixer à la sauce pelevinenne, en faisant notamment du héros populaire Tchapaïev un bodhisattva, qui cherche à éveiller le héros Piotr Poustota à la vacuité du monde, une vacuité qu'il porte jusque dans son nom (Poustota signifie « vide » en russe).

D'un côté le livre applique les codes du rêve en alternant très vite entre différentes situations, différents points de vue, différents univers, sautant souvent du coq à l'âne. Mais de l'autre il est principalement fondé sur des dialogues philosophiques, eux-mêmes fondés… sur la logique du monde éveillé. Ce mélange rend la suspension d'incrédulité bien délicat, d'autant plus que les personnages principaux ont la fâcheuse tendance à tous parler avec la voix de l'auteur, si bien que le contenu philosophique de leurs discussions abonde toujours dans le même sens, en revient toujours au même (le vide). Cette narration artificielle au possible n'aide pas à prendre le récit au sérieux. Mais surtout, le discours bouddhiste demeure assez superficiel, réduit peu ou prou à ce concept de vide, jusqu'à frôler dangereusement la confusion avec le nihilisme. Et enfin, où est passé l'aptitude de Pelevine à intégrer ce discours de façon cryptée, sous-jacente et élégante dans ses récits ?

Il me semble que l'on a affaire au syndrome du roman trop ambitieux où l'auteur veut faire trop de choses à la fois, et finit paradoxalement par exprimer moins que dans des allégories plus concises comme pouvaient l'être La flèche jauneLa vie des insectes.

Cela dit il y a de quoi rire dans ce délire déprimant, car Pelevine demeure un excellent satiriste de la Russie eltsinienne colonisée par le capitalisme. On trouve de bonnes scènes d'amour, de sepukku et de virée en avion avec un Schwarzie qui cite l'évangile selon Donald Trump (ce passage à lui seul vaut le détour). Mais malgré les prouesses aéronautiques de notre americano-autrichien préféré, le roman n'atteint pas les hauteurs promises et s'avère moins grand que la somme de ses très inégales parties. Sur le même format, iPhuck 10, plus tardif, m'a paru nettement supérieur, sans qu'il sacrifie pour cela en rien à l'irrévérence et à la folie littéraire qui caractérisent le style de Pelevine.
Commenter  J’apprécie          226



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}