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Critique de berni_29


J'avais accepté quelques jours auparavant la généreuse invitation de Laurent Pépin qui proposait de m'adresser son livre, Monstrueuse féerie, une novella de cent deux pages, qu'il définissait comme atypique, « une littérature aux frontières du surréalisme et de la psychiatrie. »
J'adore les frontières, elles n'ont d'intérêt pour moi d'exister que pour être franchies. J'aime la dissidence des mots.
J'aime passer d'un versant à l'autre, celui de l'ombre à la lumière ; ici mon désir a été exaucé.
Je savais bien que lire ce texte, aussi court et fulgurant soit-il, serait dangereux pour mon état psychique déjà si fragile depuis quelques mois d'enfermement. J'ai eu pourtant la curiosité d'accepter cette invitation et j'en remercie l'auteur.
Il s'agit selon l'auteur "d'un conte fantastique pour adultes teinté de pataphysique, de psychanalyse, de poésie et d'humour noir."
Dans ce texte inspiré qui navigue selon moi entre deux univers, celui de Boris Vian et celui de Franz Kafka, j'y ai vu une variation à peine déjantée sur la différence...
Le narrateur est un psychologue qui travaille dans un hôpital psychiatrique auprès de patients qu'il appelle les Monuments, quel magnifique mot ! Oui, un Monument, c'est grand, ça en impose... Il parle alors de monstres et de folie comme on parle d'un rideau qui s'ouvre brusquement sur un territoire empli de soleils, de gens sans nom, de blessures et d'interstices où faire entrer cette lumière brûlante qui nous happe. Durant les premières pages j'ai tenu cette histoire à distance en me posant cette question : mais de quel monde parle-t-il ? de quelle folie ? Quel est ce monde futuriste étrange et impossible dont l'auteur nous parle ?
Peut-être que moi aussi il m'arrive de traverser une décompensation poétique comme les Monuments... N'est-ce pas ce qui peut nous sauver du désastre du monde... ?
Je venais à peine de terminer les dernières pages, emporté par le brasier des mots et leurs errances, un texte d'une beauté poétique violente et fragile, que quelque chose d'étrange semblait brusquement envahir l'atmosphère de la pièce. Des bruissements, des froissements, étaient-ce les mots qui déjà sortaient du livre ?
Et puis quand j'ai vu ces cafards qui m'approchaient par milliers, grimpaient sur mes jambes, cherchaient à pénétrer par mes orifices pour y pondre leurs oeufs, c'est là que j'ai compris que ce monde improbable était à portée de mains...
" Ne devient pas fou qui veut." J'avais deux solutions, soit boucher tous les accès de mon corps, ce que je trouvais un peu inconfortable vous l'avouerez, notamment... le nez, mais oui le nez ! À quoi pensiez-vous, chers poètes maudits ?! Soit justement plutôt opter pour la poésie....
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir ! »
À ces mots, les cafards disparurent comme par enchantement, mais déjà mes bras, mes mains, mon corps changeaient de physionomie, se déployaient comme happés par le flux des mots. J'avais l'impression que je ne pourrais plus franchir la porte de ma chambre. Heureusement, la fenêtre était suffisamment grande et je me suis alors envolé...
La poésie est-elle un rempart qui nous protège de la folie du monde ?
Ou plutôt, la folie n'est-elle pas ce rempart qui nous protègerait de la normalité du monde ?
À commencer par l'héritage désastreux de certains parents idiots comme ceux du récit... de l'enfance à l'âge adulte, quels gâchis tant de fois survenus... On devrait parfois interdire à certains parents d'avoir des enfants pour les rendre encore plus stupides qu'eux. Je me rends compte que c'est horrible ce que j'écris. Les fous ne sont pas ceux qu'on croit.
Parfois j'aimerais que la poésie entre par tous les orifices si nombreux que mon corps peut proposer et ponde ses mots, sa lumière, son cri, je me sentirais ainsi mieux protégé de la méchanceté du monde.
Moi aussi dans une autre vie j'ai aimé une Elfe comme le narrateur. Elle aussi craignait les Monstres qui peuplaient son univers.
L'un des Monstres était son père... Elle avait des ailes qui se brûlaient sans cesse lorsqu'elle tentait de les déployer contre les murs blancs et aseptisés qui l'entouraient...
Mais tout comme le narrateur je sais qu'il ne faut pas emprisonner les elfes.
Qui sont les Monstres ?
Tout comme le narrateur, je sais bien que le monde se divise en trois catégories : les Elfes, les Monstres et les Monuments. L'univers est ainsi fait.
Lorsque j'ai lu cette phrase sidérante du récit, c'est là que j'ai compris que ce n'était pas une fiction : « Et quand je caressais son corps, il m'arrivait d'amuser mes mains à essayer de découvrir où était localisé le récepteur Bluetooth. »
Une terreur souterraine m'est alors venue, une peur archaïque, quelque chose du monde d'avant et du monde d'après dont on rêvait pourtant...
Un sentiment océanique m'a alors envahi. J'ai eu envie de me noyer dans mes larmes, mais elles étaient trop nombreuses et m'auraient éloigné de mes proches dans ce fleuve indomptable.
Comment ne pas voir dans la relation de ce psychologue amoureux et de son elfe fugitive et révoltée quelque chose qui ressemble à l'amour d'Orphée pour Eurydice ? "Mais il ne faut pas emprisonner les Elfes..."
Le récit parle d'une traque comme nous le vivons tous les jours... Nous sommes traqués jour et nuit et le pire c'est notre consentement à cela, plus qu'une résignation...
Écouter, comprendre la différence...
En lisant cette novella, je ne sais pas vous, mais moi j'ai brusquement pensé à Antonin Artaud qui disait ceci :
« Je voudrais faire un Livre qui dérange les hommes, qui soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n'auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité. »
" Ne devient pas fou qui veut."
Voilà, en attendant, en attendant je ne sais quelle fin, je vais laisser mes orifices ouverts, la poésie peut y entrer, elle est chez elle, elle peut y faire son chemin...
Grand merci à Laurent Pépin. Puisse son récit voyager loin !
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