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Critique de Erveine


Faulques subit une mutation. Il passe de Photographe de guerre à Peintre de batailles. Mais n'est-ce pas le même processus que l'apparition de l'image lors du développement de la pellicule et l'élaboration de la peinture ? Pourquoi Faulques s'est-il réfugié dans cette tour du sud méditerranéen ? A quoi bon reproduire cette large fresque ? Immortaliser les batailles en clouant ça et là et pour l'éternité tous ses morts. Enfin ! Ceux du moins qu'il a vus, de visu, tous ceux qui sont apparus dans la cible redoutable de son objectif. Nous sommes dans la crique d'Arráez en Espagne où les vagues affleurent à flanc de rocher. Faulques s'immobilise de temps en temps pour écouter la mer, le ressac, puis il s'échine sur cette paroi circulaire de la tour ou il restitue au pinceau chacun des personnages. Il dépose ici les armes, luisantes, le froid métal gris, la terre, avec ses ocres, terre de sienne, ses rouges pour le feu, les explosions, toutes ses nuances de gris pour le ciel. Il n'y a pas de bleu ni d'azur dans le chaos. Pourtant, le soir venu, quand le soleil se couche, la fresque immobile s'anime et des couleurs flamboient en balayant les visages et les corps, dévoilant chaque détail de la ville incendiée, de la lueur métallique des armes et de cette fissure qui traverse la fresque en accentuant, comme un cri, l'expression de la mort sur les visages et les corps gisant à terre, dans la position intimée de la chute. Une femme en son centre, cuisses légèrement ouvertes, baigne dans son sang et à côté d'elle, un enfant, le sien peut-être, où un autre, mais qu'importe. Une image qui peut-être symbolise la naissance ou la mort, mais d'un certain point de vue, les deux. L'espace-temps qui se fond à une seconde près, juste avant la vie et peu après la mort, une fraction du temps qui se rejoint.
Faulques s'interroge sur le chaos. Y a t-il un ordre dans le chaos comme il y en a un dans le désordre ?
Puis un jour, arrive Ivo Markovic, le croate. Il lui rappelle la guerre en Bosnie et d'une certaine façon, la sienne aussi. Il lui demande des comptes, des explications. Markovic a été torturé et sa famille exterminée à cause d'une photo qu'il a prise. Une photo qui a fait le tour du monde et pour laquelle Faulques à reçu une récompense. Celle qui a constitué la preuve et le moyen pour les Serbes d'atteindre Markovic pour lui faire subir des représailles. Aujourd'hui, Markovic affronte Faulques dans un langage correct, mais sans concession. Il lui raconte froidement sa guerre et il exige en retour des réponses sur sa part de responsabilité, à lui, le photographe. Il sait parfaitement qui est Faulques et s'il ne modifie en rien la teneur de ses propres agissements, il sait comment l'atteindre et l'amener où il veut. Il y avait une femme aussi là-bas. Une femme blonde que Faulques a photographiée, quand elle est tombée, elle aussi. Une photo qui n'a jamais été éditée, cependant.
À la question est-ce qu'il paye pour faire ses photos ? Faulques répondra non, même s'il prend en photo des exécutions, même s'il choisit la meilleure, cet homme droit, les yeux bandés qui reste brave et cet autre qui le regarde, indigné ; même s'il vomit en d'autres circonstances, vers d'autres contrées, quand il entend les cris des suppliciés, attachés et livrés aux crocodiles, il les a, sur ses clichés.
Markovic nie, lui. Non ! Il n'a jamais violé de femmes. Une fois, ils sont intervenus dans une famille, ils ont torturé, malmené un enfant handicapé. Un enfant qui riait, qui ne pouvait pas comprendre... Quand ils sont sortis, ils sont restés silencieux, gênés, longtemps sans se regarder. Alors pourquoi ! Pourquoi ! Il faisait partie du groupe. Il y avait des codes. Il ne pouvait pas... Au nom du groupe... Au nom de la guerre... Les hommes parlent, ils s'affrontent, ils se confondent.
Au début, Faulques cherche une arme, il visionne dans sa tête toute éventualité d'un combat, puis il se ravise, se sent ridicule et finalement, il accepte l'échange. Mais, quand Markovic s'en va, il se sent libéré. Pourtant, le lendemain, il se surprend à l'attendre. Il ressent ce besoin de sa présence. Mais qu'est-ce alors qui le lie au croate. Sinon l'histoire. Cette monstruosité qu'est la guerre, toutes ces images qui sont gravées dans sa tête, des instantanés effroyables qu'il ne peut partager avec personne, sinon lui, un pareil à lui-même, Markovic.
Une fois, poursuit le croate, il y avait un garde Serbe qui s'offrait un jeune bosniaque de dix-sept ans. le gamin nous donnait toujours quelque chose, du chocolat, des cigarettes... Visiblement, il recherchait notre amitié. Pourtant, ils l'ont agressé à plusieurs....
Un homme qui recherche de l'amitié, en temps de guerre, ça existe, quel que soit le camp dans lequel il se trouve.
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Je cite p.115 : C'est - en ne tenant pas compte de Gödel - comme les équations mathématiques : elles possèdent une telle sûreté, une telle clarté, une telle inévitabilité, qu'elles procurent un soulagement intellectuel à ceux qui les connaissent et qui s'en servent. Pour moi, ce sont des analgésiques. Ainsi, c'est cet effort de compréhension qui nous sauve en ce qu'il nous ré-humanise en transformant l'horreur absurde en lois sereines.
Alors, il ne tient qu'à nous d'appliquer ce concept des mathématiques aux sciences humaines.
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Arturo Perez-Reverte ne nous édicte pas de ligne de conduite, il nous éclaire seulement et nous livre bataille, mais aussi au travers des grandes oeuvres telles que Goya « Duel à coups de gourdin », Picasso avec « Guernica », Carducho « la Victoire de Fleurus », la fresque d'Orozco pour nous peindre ce roman avec en plus, une note esthétique.
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