J’ai dix ans. Mes deux amis et moi sommes inséparables. Parfois, je voudrais leur dire qui je suis, j’ai cette fille au bord des lèvres, mais je n’ose pas. Je ravale.
J’ai peur qu’ils me rejettent, me jugent.
Nous, c’est trois ou rien. C’est trois ou la solitude. (p 491)
- "Mourir", ça prend un r ou deux ? Nous a-t-il demandé tout à l'heure en s'habillant juste avant de quitter la pension.
Nina l'a regardé et lui a répondu, l'air de rien :
- Un seul r mais quand tu le conjugues au futur, deux. Sinon, "vivre" c'est plus simple, c'est un r à tous les temps.
Laisse tes idées noires survoler ta tête mais ne les laisse jamais faire leur nid dans tes cheveux.
Elle reste mutique, ne réagit pas. Boit son café et son alcool de poire à petites gorgées en fixant son interlocutrice sans la voir. Lili est décontenancée par le désespoir de la jeune femme qui lui fait face.
- Où vivez-vous ? lui demande-t-elle, comme on interroge un jeune enfant perdu qui cherche ses parents.
- Chez mon mari.
- Chez votre mari ce n'est pas chez vous ?
- Tu as des enfants ?
- Non. Et toi ?
- Non plus.
-Je ne sais pas comment on appelle un homme et une femme qui n'ont pas eu d'enfants.
- Des orfanlins ? Des perdus, des contraires, des solitudes, des sans-couches, des sans-descendance, des chanceux, des égoïstes, des stérilités, des sans-mains, des sans-ventre, des sans-ivresse, des sans-emmerdes, des sans-héritier, des joyeux lurons, des viagers, des éternels adolescents, des enfants à perpétuité, des sans-empreinte, des sans-joie, sans-layette, sans-landau, des sans-vie après la vie, des y-aura-pas-un-chat-à-ton enterrement...
Perdre une maman, c'est perdre le monde.
Elle sonne. Étienne lui ouvre la porte. Une gêne, un long silence, face à face, les yeux dans les yeux. Ils ne se sont pas vus pendant quatorze ans. Tout retombe comme un soufflé que l'on retire du four. Au fond, ce n'est pas si grave. Ce n'est plus si important. Ce n'est pas parce qu'on s'est aimés avant qu'on doit s'aimer maintenant. Le temps a passé. Il paraît qu'il emporte tout, la preuve, elle ne tremble pas.
Il y a des livres que l'on rate, comme certaines rencontres, on passe à côté d'histoires et de gens qui auraient pu tout changer. A cause d'un malentendu, d'une couverture, ou d'un résumé passable, d'un a priori. Heureusement que parfois la vie insiste.
- Il y a quelques jours j’ai lu un truc. Imagine que tu ne puisses pas bouger depuis des années parce que tu as le poing fermé à l’intérieur d’un récipient et que pour réussir à sortir ta main, te libérer, il te suffirait de lâcher ce que tu retiens dans ton poing serré.
Elle fait un geste de la main pour accompagner ses mots :
- Tu ouvres ta main, tu perds ce qu’il y a dedans, ça tombe au fond du récipient, mais tu es libre.
(p 656)
Nos enfants restent petits dans nos âmes de mères. Ils prennent toute la place, et pourtant ils restent petits.