La beauté n'est pas toujours neutre
et qui se dit très objectif
prend femme à plutôt belle tête
qu'à bel intellect Après quoi
le même homme ira écrivant
que tout est égal Le zéro
est notre actuel numéro.
(P165)
Vivre est assez bouleversant
quoique médisent nos sceptiques
De quoi demain sera-t-il fait
ô plus on va plus on le sait
car enfin le jeu perd sa mise
et les dés meurent dans nos mains
Porte de plus en plus étroite
qu'il est maigre notre destin
pour y trouver de quoi le fuir.
(P93)
Nous avions tous deux le même âge
seize ou dix-sept ans ne sais plus
et notre amour dura trois ans
Nous couchions ensemble souvent
rue des Acacias la cousine
de ma belle toujours absente
y ayant un appartement
Nous en profitions nous tenant
l'un sur l'autre nus sans rien faire
attendant que l'ange trépasse
qui nous regardait en riant
Mais j'avais peur de la brusquer
Le jour où par pure méprise
je la pénétrai plus avant
elle se rendit compte à peine
de mon geste C'était vexant
(P51)
Mais le plaisir a dure dent
quand on veut le mettre dans sa poche
Si ton bonheur est dans le vent
donne au vent toute ta nature
(P40)
J’ai fait en sorte qu’on me laisse
très en paix dans mes souterrains
Puis c’est vrai qu’est-on pour oser
faire ainsi de l’autorité
quand aucun galon sur la manche
Mille mots d’un jeune insolent
connu ni d’Eve ni d’Adam
qu’est-ce auprès de deux d’un illustre
dont on vantera la dent dure
c’est se faire du tort pour rien
Mais il est impudent d’aimer
Edmond Rostand et Mallarmé
Peut-on s’y tromper ? Tant de gens
nous disent qu’un tel et un tel
sont pourris mon cher de talent
qu’on finit par se demander
s’ils n’ont pas raison Pour ma part
pourris ou non ces écrivains
j’en reste à mon point de départ
et tiens pour de vrai ce que je pense
à propos de pas mal d’auteurs
qui me soulèveraient le cœur
s’il n’était fixe en ma poitrine
Ce ne sont pas gens malheureux
Ils ont de quoi bien se distraire
et doivent se dire : envieux
le pauvre gars qui nous enterre !
Envieux c’est peut-être vrai
pas tout à fait comme ils l’entendent
Envieux d’un monde meilleur
où leurs misères écrivaines
n’auraient lieu Mais c’est peu probable
car ils auront toujours du monde
et c’est très bien ainsi car j’aime
que ceux que j’aime ne soient vus
connus aimés que par leurs frères
C’est petite société
mais suffisante pour s’y plaire
et je voudrais faire partie
de ces inconnus qui nous parlent
de ce que langage veut dire
sans le secours d’autre miracle
que celui de parler avant
cette parole cocardière
qui nous fait de l'oeil quoique aveugle
et susceptible seulement
de consoler les endormis
et d'endormir les survivants
au désastre d'être sur terre
quoique émerveillés C'est ainsi
qu'on s'accepte enfin solitaire.
J'écris tout cela comme si
j'allais mourir demain et sonne
l'heure de ne plus voir personne
qui puisse me faire souffrir
pour raisons trop déraisonnantes
ou par orgueil de n'être là
que par hiérarchie ambiante
(prononcez bien les pieds y sont)
Rien nous ne sommes rien qu'aubaines
pour nommer ce qui n'aurait su
jamais avoir nom Pour le reste
nous nous regardons par-dessus
ou par-dessous nos tristes mines
Le suicide n'est jamais loin
de nos retours à domicile.