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Critique de kielosa


Curieusement, mon avant-dernière chronique portait sur la quête de Sandrine Treiner pour éviter que son héroïne, Manya Schwartzman, ne sombre dans l'oubli, dans l'ouvrage présent, c'est au tour de Michelle Perrot pour se lancer à la recherche d'une héroïne de la lutte ouvrière, Lucie Baud, pour éviter que son nom et efforts ne soient à jamais oubliés.

Avant de continuer, permettez-moi, Madame, de vous souhaiter un joyeux anniversaire !!! Il se trouve que Michelle Perrot a fêté hier ses 90 ans !

Indépendamment de cet heureux événement, il convient de souligner que l'auteure est une historienne à réputation des plus solides : professeure éméritée d'histoire à l'université de Paris-Diderot et auteure d'une impressionnante série d'ouvrages historiques et littéraires. Dans sa volumineuse production d'écrits, la grande constante est son souci pour les conditions de travail et de vie des simples ouvriers, et comme féministe, surtout celles des ouvrières au siècle dernier.

C'est dans cette logique que s'inscrit son "Mélancolie ouvrière", dans lequel elle cherche à tout savoir sur la vie et l'oeuvre de Lucie Baud, afin de répondre à la question : est-ce qu'une ouvrière méconnue peut être considérée comme une héroïne ?

Lucie Baud, née Martin à Saint-Pierre-de-Mésage près de Grenoble en 1870, est devenue - tout comme sa mère - à 12 ans, ouvrière dans une usine de soie. À 21 ans elle épousa le garde-champêtre, Pierre Baud de 20 ans son aîné, avec qui elle a eu 3 enfants : Alexandrine en 1892, Pierre Auguste en 1897 et Marguerite en 1900. Écoeurée par les conditions lamentables de travail des ouvrières dans les usines de soie, elle organise des manifestations et grèves. En 1902, après la mort de son garde-champêtre, elle fonda le "Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille" et est, à ce titre, invitée au 6ème Congrès national ouvrier de l'industrie textile, en 1904, à Reims. Ce sera l'unique voyage de sa vie et le comble, en tant que femme, on n'accorde même pas la parole à ce "météore du mouvement ouvrier" lors de ce congrès !

En 1906, elle fait une tentative de suicide, en se tirant 3 coups de revolver dans la mâchoire, ce qui la défigure évidemment sérieusement. Sept ans plus tard, en 1913, elle meurt. Elle venait juste d'avoir 43 ans.

On a des difficultés à s'imaginer les conditions de travail de ces pauvres ouvrières de la soie : des journées de dur labeur de 12 à 13 heures, qui commencèrent à 6 heures du matin et qui se terminèrent le soir vers 19 heures, "rythmées par des pauses strictes pour les repas", une soupe et un plat qui ne comporte que rarement de la viande. Avec des nouvelles machineries (importées des États-Unis), le tempo du travail s'accélérait et " avec chaque perfectionnement de matériel, c'était une nouvelle diminution de salaire". Il fallait bien que les riches industriels. résidant à Lyon ou Paris, amortissent leur investissement ! Les ateliers étaient mal ventilés et les poussières de soie étaient souvent à l'origine de maladies pulmonaires. L'hygiène était quasi inexistante et "les cabinets d'aisances minables". En plus, ces jeunes femmes et filles avaient le grand bonheur d'être constamment surveillées par des contrôleurs hommes, bien entendu, qui pouvaient intervenir à tout moment et distribuer des punitions à leur guise. Qu'il y ait eu toutes sortes d'abus sexuels n'étonnera personne, bien que Michelle Perrot soit assez discrète à ce sujet.

Et comme ces pauvres Françaises ne rapportaient pas suffisamment de sous, les industriels importèrent des Italiennes, qu'ils logaient dans der dortoirs insalubres aux bons soins de religieuses. On leur avait promis un voyage de retour par an, mais une fois arrivées dans le bagne de soie, au bout de 3 ans, elles ne pouvaient même pas rembourser le prix du voyage initial, prélevé systématiquement sur leurs maigres salaires !

À la question de savoir si une jeune ouvrière, avec peu d'instruction, qui se rebelle pour ses consoeurs peut être considérée comme une héroïne, je crois que la réponse est un massif OUI ! En fin de volume, Michelle Perrot, publie un texte de Lucie Baud de 1908, intitulé "Les tisseuses de soie dans la région de Vizille". Un document de 12 pages impressionnant par sa lucidité, bon sens et intelligence.

Grâce aux travaux de notre historienne, une rue à Vizille porte dorénavant le nom de cette "Pasionaria" syndicaliste.

En même temps que cet opus, j'ai commandé de Michelle Perrot "Les femmes ou les silences de l'histoire". Un ouvrage de 494 pages en édition poche (et en petits caractères), à propos d'un sujet sur lequel, en tant qu'homme, il me reste encore énormément à apprendre. Donc, n'attendez pas ma chronique demain matin à l'aube.

En attendant, je vous livre une petite citation de notre grande historienne : "La nature est-elle jamais en accord avec nos sentiments ? Il fait toujours beau les jours de deuil où l'on a du chagrin" (page 42).
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