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EAN : 9782246797791
192 pages
Grasset (17/10/2012)
3.62/5   33 notes
Résumé :
« Je suis entrée comme apprentie chez MM. Durand frères. J'avais alors douze ans. » Ainsi commence le témoignage de Lucie Baud (1870-1913), ouvrière en soie du Dauphiné, femme rebelle et oubliée, en dépit de grèves mémorables. Une ouvrière méconnue peut-elle être une héroïne ? Michelle Perrot s'efforce de comprendre son itinéraire en renouant les fils d'une histoire pleine de bruits et d'ombres, énigmatique et mélancolique. Mélancolie d'un mouvement ouvrier qui écho... >Voir plus
Que lire après Mélancolie ouvrière: 'Je suis entrée comme apprentie, j'avais alors douze ans...' (Lucie Baud)Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Curieusement, mon avant-dernière chronique portait sur la quête de Sandrine Treiner pour éviter que son héroïne, Manya Schwartzman, ne sombre dans l'oubli, dans l'ouvrage présent, c'est au tour de Michelle Perrot pour se lancer à la recherche d'une héroïne de la lutte ouvrière, Lucie Baud, pour éviter que son nom et efforts ne soient à jamais oubliés.

Avant de continuer, permettez-moi, Madame, de vous souhaiter un joyeux anniversaire !!! Il se trouve que Michelle Perrot a fêté hier ses 90 ans !

Indépendamment de cet heureux événement, il convient de souligner que l'auteure est une historienne à réputation des plus solides : professeure éméritée d'histoire à l'université de Paris-Diderot et auteure d'une impressionnante série d'ouvrages historiques et littéraires. Dans sa volumineuse production d'écrits, la grande constante est son souci pour les conditions de travail et de vie des simples ouvriers, et comme féministe, surtout celles des ouvrières au siècle dernier.

C'est dans cette logique que s'inscrit son "Mélancolie ouvrière", dans lequel elle cherche à tout savoir sur la vie et l'oeuvre de Lucie Baud, afin de répondre à la question : est-ce qu'une ouvrière méconnue peut être considérée comme une héroïne ?

Lucie Baud, née Martin à Saint-Pierre-de-Mésage près de Grenoble en 1870, est devenue - tout comme sa mère - à 12 ans, ouvrière dans une usine de soie. À 21 ans elle épousa le garde-champêtre, Pierre Baud de 20 ans son aîné, avec qui elle a eu 3 enfants : Alexandrine en 1892, Pierre Auguste en 1897 et Marguerite en 1900. Écoeurée par les conditions lamentables de travail des ouvrières dans les usines de soie, elle organise des manifestations et grèves. En 1902, après la mort de son garde-champêtre, elle fonda le "Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille" et est, à ce titre, invitée au 6ème Congrès national ouvrier de l'industrie textile, en 1904, à Reims. Ce sera l'unique voyage de sa vie et le comble, en tant que femme, on n'accorde même pas la parole à ce "météore du mouvement ouvrier" lors de ce congrès !

En 1906, elle fait une tentative de suicide, en se tirant 3 coups de revolver dans la mâchoire, ce qui la défigure évidemment sérieusement. Sept ans plus tard, en 1913, elle meurt. Elle venait juste d'avoir 43 ans.

On a des difficultés à s'imaginer les conditions de travail de ces pauvres ouvrières de la soie : des journées de dur labeur de 12 à 13 heures, qui commencèrent à 6 heures du matin et qui se terminèrent le soir vers 19 heures, "rythmées par des pauses strictes pour les repas", une soupe et un plat qui ne comporte que rarement de la viande. Avec des nouvelles machineries (importées des États-Unis), le tempo du travail s'accélérait et " avec chaque perfectionnement de matériel, c'était une nouvelle diminution de salaire". Il fallait bien que les riches industriels. résidant à Lyon ou Paris, amortissent leur investissement ! Les ateliers étaient mal ventilés et les poussières de soie étaient souvent à l'origine de maladies pulmonaires. L'hygiène était quasi inexistante et "les cabinets d'aisances minables". En plus, ces jeunes femmes et filles avaient le grand bonheur d'être constamment surveillées par des contrôleurs hommes, bien entendu, qui pouvaient intervenir à tout moment et distribuer des punitions à leur guise. Qu'il y ait eu toutes sortes d'abus sexuels n'étonnera personne, bien que Michelle Perrot soit assez discrète à ce sujet.

Et comme ces pauvres Françaises ne rapportaient pas suffisamment de sous, les industriels importèrent des Italiennes, qu'ils logaient dans der dortoirs insalubres aux bons soins de religieuses. On leur avait promis un voyage de retour par an, mais une fois arrivées dans le bagne de soie, au bout de 3 ans, elles ne pouvaient même pas rembourser le prix du voyage initial, prélevé systématiquement sur leurs maigres salaires !

À la question de savoir si une jeune ouvrière, avec peu d'instruction, qui se rebelle pour ses consoeurs peut être considérée comme une héroïne, je crois que la réponse est un massif OUI ! En fin de volume, Michelle Perrot, publie un texte de Lucie Baud de 1908, intitulé "Les tisseuses de soie dans la région de Vizille". Un document de 12 pages impressionnant par sa lucidité, bon sens et intelligence.

Grâce aux travaux de notre historienne, une rue à Vizille porte dorénavant le nom de cette "Pasionaria" syndicaliste.

En même temps que cet opus, j'ai commandé de Michelle Perrot "Les femmes ou les silences de l'histoire". Un ouvrage de 494 pages en édition poche (et en petits caractères), à propos d'un sujet sur lequel, en tant qu'homme, il me reste encore énormément à apprendre. Donc, n'attendez pas ma chronique demain matin à l'aube.

En attendant, je vous livre une petite citation de notre grande historienne : "La nature est-elle jamais en accord avec nos sentiments ? Il fait toujours beau les jours de deuil où l'on a du chagrin" (page 42).
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Vie de Lucie Baud sortie de l'anonymat. Elle est née en 1870 et morte en 1913 près de Vizille dans l'Isère, vallée mi rurale, mi industrielle à la fin du XIXème siècle. de nombreuses usines ou ateliers textiles couvrent la vallée. Lucie entre à l'usine à 12 ans. Existe alors le système de l'internat pour les très jeunes filles. En plus des conditions de travail déplorables durant 12 à 15 h par jour au rythme de la mécanisation, ces adolescentes vivent dans ces "couvents soyeux".
Mariée à 20 ans, trois enfants, veuve à 33 ans, c'est à partir de là qu'elle se lance dans l'action publique en tant que déléguée syndicale et meneuse de grèves en 1905-1906. On ne sait presque rien de son action si ce n'est que les grèves ont échoué, que son implication a dû être mal perçue venant d'une femme, veuve et mère qui se devait être exemplaire et respectable.
Rancoeurs, divisions, trahisons l'amènent à une tentative de suicide violente, par arme à feu dont on sait peu de choses.
Elle vit encore quelques années, laissant quelques lignes de témoignage sur les grèves plutôt que sur son état d'esprit.
Elle est sortie du rang et de la discrétion qu'on attendait d'elle ce qui l'a très certainement isolée pour le restant de ses jours.
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Lucie est sortie du rang où sa condition de femme, de mère, de veuve aurait dû la garder

Voici, un très plaisant ouvrage, une tentative de reconstituer l'histoire de Lucie Baud, soyeuse (« les soyeuses sont une aristocratie »), à partir d'une éventuelle photographie et d'un article « Les tisseuses de soie dans la région de Vizille » paru dans le Mouvement socialiste en juin 1908 et republié dans le Mouvement Social dans le numéro d'oct-déc. 1978

Dans le premier chapitre, Michelle Perrot part à la recherche de Lucie Baud. Ce parcours est aussi une réflexion sur la recherche en histoire.

Lucie Baud « appartient au monde l'écrit », dans un temps où « entre la fabrique et la terre, la frontière est poreuse ».

L'auteure souligne quelques éléments du monde de l'industrie. « L'apprentissage était plus disciplinaire que vraiment technique » ou « Les mains d'ouvrières portent ces stigmates identitaires. le corps au travail est un corps menacé » sans oublier ce qui serait nommé aujourd'hui harcèlement sexuel. L'introduction de nouvelles machines, la modernisation entraîne l'accélération des cadences, « Impossible de quitter des yeux ces maudites navettes dont la danse endiablée est à l'origine des conflits de 1905-1906. »

Au centre du livre, deux grèves, « La joie de la résistance et de l'inversion des rôles », l'irruption des ouvrier-e-s dans l'espace médiatique, les soupes communistes, un congrès syndical et le « Premier Mai 1906 », les reprises difficiles sans les meneuses « Une meneuse n'est jamais loin d'une mégère, d'une pétroleuse. Pour beaucoup, c'était un scandale ».

Si la troisième République a développé la scolarisation, nous somme très loin de la république sociale décrite par certain-ne-s, sans oublier sa face colonialiste.

Comme dans le titre de l'ouvrage, l'auteure nous parle de mélancolie : « Il y a une mélancolie ouvrière des lendemains de grève, qui pèse d'autant plus qu'officiellement on n'avoue pas l'échec, comme si c'était une faute, une lâcheté. ». Elle évoque aussi les difficiles constructions d'organisations syndicales, les débats entre syndicalistes d'action directe et les centralisateurs guesdistes.

Au total, un beau récit, l'esquisse mélancolique d'un portrait de femme, apprentie à douze ans, syndicaliste et animatrice de grèves.

« Il est temps de quitter cette rebelle qui me défiait ; d'en finir avec cette vie dont le mystère me fuyait et m'obsédait.

En lui dédiant ce livre, dont on aimerait qu'il ne soit pas un tombeau, je pensais mettre un point final à cette quête. Point final ? Non. Points de suspension dans l'indécision d'une histoire incertaine. »
Lien : http://entreleslignesentrele..
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C'est un exercice périlleux que de tenter d'écrire la biographie de quelqu'un à partir d'un texte de quelques pages (seul texte laissé par cette personne dans lequel elle ne se raconte d'ailleurs pas) et de quelques recherches locales peu fructueuses. Personnellement, j'aurais préféré une autre approche qui aurait évité que le lecteur ou la lectrice ne se pose continuellement la question du bien-fondé des déductions, commentaires et autres remplissages de trous laissés béants par le manque d'informations réelles sur la vie de Lucie Baud.

Pourquoi vouloir faire à tout prix de Lucie Baud une héroïne, qu'elle était peut-être, sans doute même, quand on n'a pas la matière suffisante et, ce faisant, passer un peu à côté du vrai sujet? La réponse est dans l'introduction: ce livre est une commande et la collection s'appelle "Nos héroïnes".

Dommage. La lecture en est un peu frustrante car le vrai sujet du livre, c'était la condition ouvrière des femmes de l'époque et leur implication naissante dans le syndicalisme. Il est traité en partie, par le petit bout de la lorgnette en quelque sorte.

À lire tout de même pour le témoignage de Lucie Baud, précieux, parce que rare, qui lève un tout petit peu le voile sur l'exploitation des femmes à cette époque et donne envie d'en savoir beaucoup plus.

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Publiée dans la collection « Nos héroïnes » dirigée par Caroline Fourrest et Fiammetta Venner, « Mélancolie ouvrière » retrace la vie de Lucie Baud (1870-1913), ouvrière dans l'industrie dauphinoise de la soie, mais aussi l'une des premières femmes secrétaire d'un syndicat. Héroïne d'une longue grève textile dans les années 1900, elle retombera rapidement dans l'oubli. Faute de traces dans les archives ? Effet du machisme de l'époque ? Une pétroleuse pour ne pas dire mieux !
Michèle Perrot part sur les pas de cette presque inconnue. Se rend sur les lieux de son existence, rencontre les historiens locaux, échafaude des hypothèses, accumule les connaissances et des faits. Ainsi se compose peu à peu le portrait d'une femme en pleins et en creux, tant les sources sont parfois fragiles voire inexistantes. A la petite fille qui commence à travailler à 12 ans succède une jeune fille plein d'espoir et d'allant qui deviendra une porte-parole de luttes ouvrières avant de tenter de suicider.
A ce triste destin, Michèle Perrot apporte son regard bienveillant et replace Lucie Baud dans un contexte plus large. Bel hommage sensible.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
" Privés d'avenir, les révolutionnaires investissent le passé de leur espoir déçu."

(page 34)
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Dès qu'il fut rentré, le patron fit appeler la délégation, et il nous raconta un tas d'histoires, dont nous ne crûmes pas un seul mot. Il avait préparé un papier pour la circonstance, où il avait inscrit ses nouveaux prix : les articles mousseline dits 120 dents, qui nous étaient précédemment payés 0,14 F, ne devaient plus nous être réglés que 0,007 F et on ne pouvait en tisser plus de 20 mètres par jour ; un autre article, payé 0,10 F, était abaissé à 0,05 F ; un troisième tombait de 0,08 F à 0,03 F ; les façonnés en satin de Suède, payés 0,22 F, baissaient à 0,14 F, etc. On pense quelle fut notre réponse. Nous acceptâmes la guerre à outrance. Quelques jours après, le juge de paix offrit son arbitrage, mais le patron ne répondit pas : il était retourné à Cannes.
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Les femmes étaient plus que jamais les gardiennes de la morale et du foyer, les pivots de la régénération de la société secouée par la guerre, la défaite et la guerre civile. L'Eglise et la République se rejoignaient sur ce point même si elles divergeaient sur les fondements de l'ordre et les perspectives sociétales.
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Il y a une mélancolie ouvrière des lendemains de grève, qui pèse d’autant plus qu’officiellement on n’avoue pas l’échec, comme si c’était une faute, une lâcheté.
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Les mains d’ouvrières portent ces stigmates identitaires. Le corps au travail est un corps menacé
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Videos de Michelle Perrot (50) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Michelle Perrot
Michelle Perrot vous présente son ouvrage " le temps des féminismes" aux éditions Grasset. Entretien avec Pierre Coutelle.
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Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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