Citations sur Charlotte Ellison et Thomas Pitt, tome 11 : L'incendi.. (13)
- Parfait, dit Carlisle. Si je peux vous être utile à quoi que ce soit, n'hésitez pas à faire appel à moi. J'éprouvais une grande admiration pour Mrs Shaw. J'espère voir son assassin pourrir dans les geôles de Coldbath Fields.
- Il sera pendu, fit Vespa d'une voix dure.
Elle savait que Carlisle était contre la pendaison, dont il ne pouvait accepter le caractère définitif dans un pays où les erreurs judiciaires étaient nombreuses. Elle aussi désapprouvait la peine de mort, mais elle était réaliste.
Carlisle soutint son regard, mais ne fit aucune réflexion. Ils avaient souvent débattu ensemble de ce sujet, et chacun connaissait l'opinion de l'autre. Au cours de leurs combats communs, ils avaient connu des tragédies ayant engendré d'indicibles souffrances. Le crime est rarement un acte isolé, dans lequel la faute incombe à une seule personne.
Au-dessous du niveau de la rue, des caves mal éclairées abritaient des ateliers où une centaine de femmes et de jeunes filles s'usaient les yeux à coudre des chemises pour quelques misérables pence par jour. Un travail toutefois moins dangereux que celui des employées des fabriques d'allumettes, lentement empoisonnées par le phosphore.
A l'étage supérieur, qui servait de maison de passe, les filles se préparaient à recevoir les clients et, un peu plus haut dans la rue, dans un autre taudis, des hommes au corps ravagé, allongés sur des banquettes, laissaient leur esprit s'envoler dans des rêves d'opium.
Lorsque vous vivez dans un pays étranger quelque singulier qu'il puisse vous paraitre au début, il faut très peu de temps pour que ses habitants vous deviennent familiers. Leur chagrin, leurs pleurs, leurs vies vous touchent autant que ceux de vos proches.
Charlotte se souvint avec un mélange de mélancolie et d'agacement qu'en hiver, son père se tenait ainsi, dos à la cheminée, empêchant le reste de la famille de profiter de la chaleur des braises. Le défunt évêque devait avoir la même manie.
Bessie était accroupie dans un recoin d'une pièce d'environ trois mètres sur quatre, occupée par trois familles, seize personnes en tout, dont deux bébés au sein qui pleuraient constamment. Contre un mur se dressait un poêle ventru qui chauffait à peine, faute de combustible. Là encore, aucun système d'évacuation des déjections et des détritus n'était prévu, mis à part une rigole qui débordait en traversant la cour. Les seaux d'ordure et d'excréments dégageaient une puanteur insupportable qui vous prenait à la gorge, imprégnant les vêtements, les cheveux et la peau. Nulle eau courante pour boire, laver le linge et faire la cuisine. Il fallait aller la chercher avec des seaux, à trois cents mètres de là.
La pièce ne possédait aucun meuble, à l'exception d'une chaise cassée. Hommes, femmes et enfants dormaient sous des tas de chiffons et de vieilles couvertures, sous rien pour les séparer du plancher que des guenilles, de vieux bouts d'étoupe et de tissu trop abîmé pour être récupérés, filés et retissés dans les asiles des pauvres.
L'incendiaire a pu faire le guet pour savoir qui se trouvait dans la maison, remarqua Charlotte. Quel combat menait donc Mrs Shaw ? Qui tenait à la faire échouer dans son entreprise ?
Carlisle eut un sourire plein d'amertume.
- Presque tous ceux qui investissent leur argent dans des taudis qu'ils louent à un prix exorbitant à de pauvres diables s'entassant parfois à deux ou trois familles dans une seule pièce. Ces profiteurs achètent aussi, pour les louer, des ateliers de confection clandestins, des tripots, des maisons de passe et même des fumeries d'opium. Activités fort lucratives, au demeurant. Vous seriez surprise d'apprendre le nom de ceux qui en tirent profit.
- De quelle manière Mrs. Shaw les menaçait-elle ? intervient Vespasia. Que souhaitait-elle exactement, ou plutôt, qu'avait-elle l'intention de faire, de façon concrète ?
- Elle désirait faire modifier la loi, afin que ces propriétaires, qui se cachent derrière la façade de sociétés anonymes ou font appel à des hommes de loi pour défendre leurs intérêts, puissent être retrouvés plus facilement.
- Ne serait-il pas plus utile de voter des lois sur l'hygiène et la limitation du nombre d'habitants de ces taudis ? proposa Emily, très réaliste.
Carlisle se mit à rire.
- Si vous limitez le nombre d'habitants par logement, vous ne ferez que jeter ces pauvres gens à la rue. Dieu sait qu'ils sont déjà nombreux ! Et comment réglementer tout cela ? Quant à l'hygiène...
La perte de ses illusions peut amener l'homme à se conduire de manière absurde.
On ne peut empêcher les gens d'avoir des idées nouvelles, ni de les exprimer !
Qui tenait à la faire échouer dans son entreprise ? (...)
- Presque tous ceux qui investissent leur argent dans des taudis qu'ils louent un prix exorbitant à de pauvres diables s'entassant parfois à deux ou trois familles dans une seule pièce. Ces profiteurs achètent aussi, pour les louer, des ateliers de confection clandestins, des tripots, des maisons de passe et même des fumeries d'opium. Activités fort lucratives au demeurant. Vous seriez surprise d'apprendre le nom de ceux qui en tirent profit.
Les femmes ne votaient pas ; or, paradoxalement, elles jouaient un rôle important dans une société qui autorisait les hommes à tous le dérèglements, même les plus abjects, du moment qu'ils se montraient discrets. En public au contraire, ou dans l'intimité de leur foyer, il feignaient de déplorer les affronts faits aux fondements même d'une société civilisée. Ils ne feraient donc en aucun cas pression pour modifier des lois qui leur étaient favorables.