Citations sur Vocation fatale (8)
— Vraiment ? fit-il, dubitatif. Quoi qu’il en soit, je ne vous laisserai pas vous lancer dans cette aventure avant que vous m’ayez fait le serment que vous vous contenterez d’observer. Regardez et écoutez, c’est tout ! Vous m’avez bien compris ?
— Évidemment que je vous ai bien compris ! rétorqua-t-elle, cinglante. Le vocabulaire que vous utilisez n’est pas très complexe, que je sache ! Seulement, je ne suis pas d’accord ! Et qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez me donner des ordres, je me le demande ! Je ferai ce que j’estime adéquat. Si cela vous convient, tant mieux. Sinon, en ce qui me concerne, cela ne changera rien !
— Dans ce cas, ne venez pas pleurer si l’on vous agresse ! Et si on vous retrouve étranglée dans un coin de l’hôpital, je serai très triste, mais certainement pas surpris !
— Au moins, vous aurez la satisfaction de pouvoir dire à mon enterrement que vous m’aviez prévenue, répliqua-t-elle en le fixant de son regard dur.
— Une bien piètre satisfaction si vous n’êtes pas là pour m’entendre…
[...]Ici, en Angleterre, on considérait inutile, voire préjudiciable, d’améliorer l’éclairage et la circulation de l’air dans les salles d’hôpitaux. Les autorités médicales demeuraient désespérément conservatrices, jalouses de leur savoir et de leurs privilèges et opposées à tout changement. Il n’y avait donc aucune place pour les femmes, sinon dans des fonctions de bonnes à tout faire ou, à l’occasion, d’administratrices, de surveillantes générales ou de bénévoles comme elle-même et d’autres dames de la haute société. Le rôle de ces dernières consistait à maintenir une moralité acceptable dans l’hôpital et à utiliser leurs relations pour récolter des fonds.
[...]Sir Herbert esquissa une moue de dégoût.
— Avez-vous déjà tenté de faire respecter une règle à une infirmière, madame ? s’enquit-il avec une ironie méprisante. Comme le faisait observer un rédacteur du Times l’an dernier… Je ne peux pas citer précisément l’article, mais il expliquait en substance que les infirmières reçoivent les sermons des comités, les leçons de morale des aumôniers, les froncements de sourcils des trésoriers et des intendants, les réprimandes des surveillantes générales, les brimades des panseurs, les plaintes des patients. Elles se voient injuriées si elles sont vieilles, traitées de façon irrévérencieuse dès qu’elles ont perdu leur première jeunesse ou séduites si elles sont jeunes et jolies. Dans ces conditions, faut-il s’étonner qu’elles soient ce qu’elles sont ? Quel genre de femme peut choisir de bon cœur un tel métier ?
— Ma sœur a été… molestée, Mr. Monk, déclara-t-elle. Je souhaiterais connaître le responsable.
Ainsi, il s’était trompé : l’affaire n’avait rien d’insignifiant.
— Je suis désolé, fit-il avec douceur.
Il était inutile de demander à la visiteuse pourquoi elle n’avait pas fait appel à la police. La seule idée de voir une telle infamie rendue publique avait de quoi affoler n’importe quelle femme. Le jugement que la société portait sur les victimes d’agressions sexuelles allait de la curiosité malsaine à la conviction profonde que, d’une manière ou d’une autre, elles l’avaient cherché. Et, indépendamment des circonstances, les victimes elles-mêmes éprouvaient souvent, de manière confuse, le sentiment d’avoir quelque chose à se reprocher. Sans doute était-ce là pour les femmes une façon de se rassurer. Dès lors que la victime était peu ou prou responsable de ce qui lui arrivait, il devenait possible d’éviter la catastrophe en adoptant une attitude saine et prudente. Une parade des plus simples…
On s'efforce toujours d'oublier ce qui fait souffrir. C'est parfois la seule manière de continuer à vivre.
Mr. Monk, déclara-t-elle, avez-vous la moindre idée du crime effroyable que commet un homme en prenant une femme de force ? Peut-être vous imaginez vous qu'il s'agit d'une simple atteinte à la pudeur, d'un acte qui inspire une vague répugnance, et rien de plus? A moins que vous ne soyez de ceux qui estiment que lorsqu'une femme dit non, elle pense oui?
Il ouvrit la bouche pour protester, mais elle ne lui en laissa pas le loisir.
Hester se tourna vers Monk, redoutant de découvrir sur son visage une expression triomphale qu'elle estimait déplacée. Cependant, le détective n'affichait rien de tel. Ce n'était pas une victoire qu'ils venaient de remporter : ils avaient seulement abouti au dénouement d'une tragédie, obtenu une part de justice pour Prudence Barrymore et tous ceux qui l'avaient aimée.
Cette nouvelle cliente était vêtue avec recherche. Elle portait un joli petit chapeau et sa large jupe à crinoline accentuait la minceur de son buste et l’étroitesse de ses épaules, lui donnant des allures de jeune fille fragile alors qu'elle devait approcher la trentaine. Bien sûr, elle répondait par là aux exigences de la mode, mais chez cette femme-ci, l'illusion était parfaite et devait inspirer à la plupart des hommes un désir de protection et un certain sentiment, fort valorisant, de galanterie obligée.