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Critique de juanilin


« On peut faire raconter ce qu'on veut aux histoires. Les seuls qui en détiennent la vérité sont ceux qui les écrivent. »

Une admiration teintée de fascination se lisait dans les yeux de qui entendait ces deux mots : Haut-Conteur. Ce titre était donné aux membres de l'Ordre pourpre et faisait d'eux des gens respectés.

Troubadour, trouvère, baladin, ménestrel, rhapsode… Les termes florissaient autrefois pour désigner les raconteurs d'histoires, selon leur provenance, la langue dans laquelle ils déclamaient, la forme qu'ils leurs donnaient. Les Haut-Conteurs, eux, avaient ceci d'exceptionnel qu'ils possédaient un don presque miraculeux nommé la Voix des rois. Venus de divers horizons, polyglottes, capables d'envoûter les foules rien que par leurs mots, usant de leur Voix de roi comme d'un outil quasi-magique, les Haut-Conteurs se distinguent par la cape pourpre qu'ils portent. Capables de démêler le vrai du faux comme de trouver le faux dans le vrai, ces perspicaces personnages ne s'en laissent pas conter. le commun des mortels ne dupe pas un Haut-Conteur.

Cet ordre, particulièrement actif dans l'Europe du XIIème siècle, sillonnait cette dernière afin de collectionner les histoires, tout en en forgeant une nouvelle : la leur. Et aujourd'hui, en cette fin d'année 1190, l'un d'eux est en train d'explorer le comté de Gloucestershire, au bord du royaume d'Angleterre. L'auberge de la Broche Rutilante, à Tewkesbury, n'avait pas connu de plus florissantes affaires que depuis l'arrivée de ce prestigieux personnage.
Dans cette auberge travaille Roland, fils du grand Robert, le propriétaire des lieux. le travail en lui-même ne lui déplaît pas, mais il se sent frustré que son avenir soit déjà tout tracé : continuer à servir ici avec ses deux soeurs, jusqu'à ce que son père se retire des affaires pour prendre sa suite.

Aussi, lorsque le Haut-conteur disparaît, un léger vent de panique souffle sur le village. Comment un homme de cette trempe peut-il bien disparaître ? Aurait-il été victime de ces horribles goules, dont on dit – sans vraiment trop y croire – qu'elles rôderaient dans les antiques cimetières cachés dans la forêt avoisinante ? de bandits de grands chemins ? de quelque chose de plus terrible encore ?... Anticipant la battue générale organisée pour le lendemain, Roland quitte nuitamment l'auberge sur le destrier de son père, le robuste et intelligent Lanterne. Ce sentiment d'euphorie lié au galop fougueux de Lanterne vers les ténèbres des bois maudits s'estompe bien vite lorsqu'il s'aperçoit que lui aussi s'est égaré. Contre toute attente il finit par retrouver le Haut-Conteur, ayant perdu une partie de sa superbe gisant qu'il est, à demi-mort dans un fossé.

« L'Aventure avec un grand A, la vraie, celle qui poussait un fils d'aubergiste à braver la nuit, n'avait rien à voir avec les histoires de chevaliers, de batailles et de dragons. Pourtant, maintenant qu'il y avait goûté, il ne serait plus jamais le même. le Conteur et ses paroles insensées avaient abattu son monde, mais en lui confiant une mission il lui avait déverrouillé une porte, celle d'un monde nouveau. Roland avait maintenant le choix d'ouvrir cette porte ou de la refermer. Il devait agir en homme.
Treize ans, c'était un bel âge pour pleurer une dernière fois comme un enfant. »

Voici donc apparaissant dans l'aube le jeune Roland, une cape pourpre sur les épaules, tenant par la bride son cheval, en travers duquel gît le cadavre du Haut-Conteur…

Mathilde, dite la Patiente, elle aussi appartenant à la glorieuse caste, pleure la dépouille de celui qu'elle considérait comme son mentor. Puis prend Roland sous son aile (plus parce qu'elle n'a pas le choix que par volonté) et lui enseigne ainsi peu à peu la grandeur et la quête principale de tout Haut-Conteur qui se respecte : celle d'un artefact mystérieux, nommé le Livre des Peurs… D'aucuns pensent trouver dans cet énigmatique ouvrage prophéties en nombre, révélations de secrets depuis longtemps enfouis et oubliés, voire même une carte, qui sait ? Mathilde, elle, est convaincue que ce livre sacré contient « la plus secrète et la plus vieille histoire du monde »…
Voilà comment Roland et Mathilde partent pour une course effrénée à travers le comté, recherchant un meurtrier et au moins une page du précieux livre…

Les Haut-Conteurs est une série de cinq ouvrages imaginée par deux talentueux compagnons de lettres et amis, signant de leurs noms de plume Oliver Peru et Patrick Mc Spare. Leur talent de scénaristes, couplé à celui d'écrivains, forme une saga visuelle foisonnante d'intrigues à tiroir et de rebondissements inattendus. Les personnages orbitant autour de Roland et Mathilde sont rarement statiques et ont toujours quelque chose à dire, avec un sens de l'à-propos défiant la concurrence. Les Haut-Conteurs est également une vertigineuse mise en abyme : deux conteurs écrivant l'histoire de conteurs d'histoires à la recherche d'histoires et d'un ouvrage mystérieux qui contiendrait l'histoire ultime : celle de l'humanité.

Les deux personnages ont beaucoup de mal à s'entendre au départ. Roland, rêvant d'aventure, se rend rapidement compte que la seule chose de rose dans la vie d'un conteur itinérant reste les rayons de soleil d'une aube naissante. Mathilde, de son côté, subit un apprenti qu'elle n'a pas souhaité et l'initie à contre coeur. Cahin-caha, ces deux personnes vont apprendre l'une de l'autre, à se découvrir, et finalement devenir indispensable l'une pour l'autre, jusqu'à comprendre que « le voyage compte autant que la destination. » Nos deux comparses, ainsi que bien d'autres – vous n'imaginez pas le nombre de gens qu'il y a dans ce roman ! – se retrouveront bien souvent dans des situations dites dangereuses et même une fois a priori désespérée.

Peru et Mc Spare s'en donnent à coeur joie dans le registre de la Dark Fantasy pour adolescents et le lecteur est comme sous l'emprise d'un Haut-Conteur. T our à tour impatient, effrayé, frémissant, ému et je suis obligé d'en passer, il est littéralement envoûté par l'histoire que l'on est en train de lui raconter. Nonobstant le fait de réussir à écrire en noir pendant une nuit sans lune, Peru et Mc Spare ne peuvent s'empêcher de s'octroyer des petites pointes de dialogues truculentes, qui permettent ainsi de relâcher une pression qui peut vite s'avérer insoutenable ; le duo prend en effet un malin plaisir à se jouer de ses personnages afin de malmener le lecteur.

« (…) Etait-ce là le genre d'histoire dans lequel le héros meurt à la fin ?
Comme en réponse à ses interrogations silencieuses, des loups hurlèrent à une centaine de mètres derrière eux et des oiseaux s'envolèrent au-dessus de leurs têtes. Oui, c'était une histoire de sang qui se terminait par la mort du héros, lui disaient les animaux de la forêt. »

Quête initiatique, énigme policière, roman d'aventure historique épicé de fantastique, le premier roman des Haut-Conteurs fourmille de révélations, de surprises et de promesses. « Avec de l'encre et du sang, c'est ainsi que l'on conçoit les meilleurs histoires » nous assènent les auteurs.

L'homme a besoin d'histoires. Qu'elles soient à créer, à lire, à voir ou à écouter, il en a besoin. Aujourd'hui les Haut-Conteurs ne sont plus. A une époque où le livre était encore une denrée rarissime et réservée à une élite, la voix et le langage du corps étaient les seuls atouts des conteurs pour raconter des histoires. La tradition orale s'est maintenant perdue, et celui qui se fait entendre est simplement celui qui parle le plus fort. Aujourd'hui, qui veut une histoire n'a que l'embarras du choix : l'information est immédiatement disponible en tout lieu. J'ai pris un plaisir insensé à lire cette série des Haut-Conteurs (et j'espère qu'il en sera de même pour vous). Petite précision qui a son importance : je l'ai lue sur un livre en papier. J'ai un affect particulier pour ce support – je ne suis pas libraire par hasard – et il me fut fort agréable de revenir en arrière, relire certains passages pour en apprécier plusieurs fois la saveur. J'aurais aimé que l'on me raconte cette histoire, de la voir vivre et se dérouler devant moi. L'ironie du sort veut que j'aie lu cette histoire de tradition orale sur un livre-papier, et que vous ou votre enfant la lirez peut-être – certainement ? – sur un support numérique, concrétisant ainsi le temps qui passe, inexorablement. Tout est affaire de culture et de période historique. Vivons avec notre temps afin de se délecter des souvenirs du passé.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs et vous, jeunes gens, merci de m'avoir porté votre attention tout au long de ces lignes.
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