Avec un peu de compassion on peut se mettre à la place de n'importe qui, cela ne nous fait pas ressentir pour autant la profondeur de ses blessures.
Sous les articles de presse, les commentaires des internautes étaient comme toujours furieux et démesurés. J ne sais pas à quoi cela sert de permettre à tout le monde d'écrire son avis au sujet du moindre fait divers. Des gens demandaient à ce que les parents du garçon soient emprisonnés. Des gens protégés par un pseudo écrivent n'importe quoi pourvu que cela soit violent et accrocheur. Des gens qui me répugnent parce qu'ils ont un avis sur tout, une vérité agressive à imposer au monde entier. Des gens qui n'ont rien de mieux à faire que de déverser leur haine anonyme sur Internet.
Ce qui est épuisant, c'est que les gens parlent sans savoir. Ils voient un étranger, ils pensent à un terroriste. Ils ne comprennent pas que certains migrants ont fui les mêmes terroristes qui nous menacent. Les gens se rassurent en mettant tout le monde dans le même sac.
Etre intelligent, c'est aussi être bombardé de questions, de doutes et de frayeurs.
Il n'y a pas besoin d'être extralucide pour saisir ce qui se passe. En un sens, ça me rassure, je ne suis plus en état d'affronter d'autres situations incompréhensibles. Les trois jeunes hommes qui cherchent visiblement à se donner une contenance appartiennent au vrai monde, celui qui souffre et dans lequel on se jette sur la poussière des chemins dans l'espoir de dénicher un peu de paix et de sécurité.
Nous frissonnons. La forêt est un monde de luttes invisibles, de chasses et de combats. Les animaux ne connaissent jamais la paix.
J'ai besoin de chaleur, mes mains et mes pieds se réchauffent lentement. C'est comme si le rêve avait aspiré une partie de ma force vitale. Ma température corporelle me paraît bien plus basse qu'à l'ordinaire.
J'ai besoin de me sentir protégée. J'ai beau savoir qui je suis et où je suis, une partie de moi demeure un petit garçon japonais caché par les dieux.
Je rêve.
Je n'ai plus assez d'énergie pour pleurer.
Mes cauchemars s'entremêlent aux cauchemars du monde entier.
(p99)
Dans le rêve, j'entendais décroître le bruit du moteur de la voiture, et le silence s'installait. Le faux silence de la forêt composé de mille bruits inquiétants ou banals : le vent dans les branches, des craquements, des choses qui tombent et roulent au sol, des bourdonnements, des vrombissements, des mouvements dans les broussailles, des reptations, des affûts, des cris, des feulements. Le silence de la forêt est un vacarme feutré, tendu, qui naît de la joie des aigles autant que de la mastication des chenilles, du balancement des feuilles, comme de la brusque détente d'un prédateur vers la gorge d'une proie.
Les adultes donnent le change, font ce qu'ils peuvent pour avancer sur le chemin de leur vie, mais certains ont des poids invisibles accrochés aux chevilles.