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Critique de colimasson


S'il y eut une hypothétique période de l'avoir plutôt que de l'être (comme le regrettent les idéalistes), notre période est assurément celle du faire plutôt que de l'avoir (et de l'être) (comme ne semble le regretter personne).


Michel Foucault se trompait lorsqu'il disait que l'ère du tragique était finie. Quel connard. Tout le monde veut pouvoir vivre une vie tragique à défaut de savoir quoi foutre ici-bas.


Le tragique, c'est Nietzsche (par exemple). Nietzsche a écrit des choses parfaitement intéressantes et justes mais il peut aussi contenter des esprits faibles à la recherche d'un maître à penser. Triste ironie pour celui qui a critiqué la religion en lui adressant exactement le même reproche. Pour ceux qui échouent en tout, Nietzsche propose l'idéal de la destruction généralisée, du mépris des valeurs populaires et de la souffrance dite utile. Ainsi, la plupart des romans de gare actuels sont des romans sous-nietzschéens écrits par des attardés n'ayant retenu qu'un mot sur deux des phrases de Nietzsche. On continue de confondre la vie et l'action frénético-nihiliste.


Heureusement, il existe des auteurs plus équilibrés. Qui reviennent de loin, non dans le faire mais dans le défaire. Qui dissolvent nos ambitions dévorantes de faire de nos existences une oeuvre d'art digne de la plus chic des téléréalités. Qui procurent un contentement durable en établissant un rapport plus juste entre la conscience et ses déterminations inconscientes, la tristesse venant de l'échec à démêler les faux noms qui nous rendent serviles à des rêves créés de toutes pièces par l'Autre.


« A vingt ans, je croyais en mon destin funeste ; aujourd'hui, je connais mon destin banal. A vingt ans, j'aspirais aux Principautés de l'Orient ; aujourd'hui, je me contenterais, sans demander de détails ni poser de questions, d'une fin de vie paisible, quelque part en banlieue, patron d'un bureau de tabac somnolent. »


Certains auteurs peuvent rendre fous. Nietzsche, une fois encore, peut devenir dangereux pour peu qu'on le découvre au moment où on demande à être influencé. On peut avoir envie de renverser sa vie après deux heures de sa lecture et une série de désillusion. Mais Pessoa regarde tout ça avec neutralité. Pour avoir connu ces états extrêmes, pour avoir appris qu'ils ne mènent à rien, pour avoir accepté finalement de mener une existence banale, comme celle de tant d'autres, il peut écrire en âme et conscience :


« Ces illogiques à l'esprit maladif se moquent -de mauvaise grâce, au fond- du bonheur bourgeois, de la vie monotone du bourgeois qui vit plongé dans sa régularité quotidienne […], et de sa femme qui se distrait en tenant sa maison, qui est aux petits soins pour ses enfants et passe son temps à bavarder sur ses voisins et connaissances. Cela, pourtant, c'est le bonheur. Il semble, tout d'abord, que ce soient les nouveautés qui peuvent plaire à l'esprit ; mais les nouveautés sont rares, et chaque nouveauté n'est nouvelle qu'une fois. »


Pessoa ôte les insomnies de la bête en cage qui rêve de se libérer et qui, se faisant, amuse ses bourreaux. Pessoa détruit l'orgueil de celui qui aimerait devenir plus qu'un être humain alors qu'il ne sait même pas encore être humain. Pessoa nous rappelle qu'il est possible de jouir du peu, c'est-à-dire du nécessaire. Pessoa me ramène à ma bouteille de rouge, à mon plumard ou à mon jardin qu'éclaircit un rayon de soleil après la flotte (mais y crois-je vraiment ?).
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