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Françoise Laye (Éditeur scientifique)
EAN : 9782267017526
238 pages
Christian Bourgois Editeur (11/02/2005)
4/5   33 notes
Résumé :

Un livre-événement que celui-ci, sans nul doute. En effet, Fernando Pessoa a beaucoup écrit sur lui-même, on peut même dire que son œuvre tout entière n'est qu'un long commentaire sur les innombrables facettes de son génie. Mais ce fut, bien souvent, sous le couvert des " hétéronymes ", auteurs fictifs d'une œuvre multiple et parfois contradictoire. Ce sont ici des pages bien différentes que nous livre Pessoa, dans ces écrits autobiographiques rédigés co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
S'il y eut une hypothétique période de l'avoir plutôt que de l'être (comme le regrettent les idéalistes), notre période est assurément celle du faire plutôt que de l'avoir (et de l'être) (comme ne semble le regretter personne).


Michel Foucault se trompait lorsqu'il disait que l'ère du tragique était finie. Quel connard. Tout le monde veut pouvoir vivre une vie tragique à défaut de savoir quoi foutre ici-bas.


Le tragique, c'est Nietzsche (par exemple). Nietzsche a écrit des choses parfaitement intéressantes et justes mais il peut aussi contenter des esprits faibles à la recherche d'un maître à penser. Triste ironie pour celui qui a critiqué la religion en lui adressant exactement le même reproche. Pour ceux qui échouent en tout, Nietzsche propose l'idéal de la destruction généralisée, du mépris des valeurs populaires et de la souffrance dite utile. Ainsi, la plupart des romans de gare actuels sont des romans sous-nietzschéens écrits par des attardés n'ayant retenu qu'un mot sur deux des phrases de Nietzsche. On continue de confondre la vie et l'action frénético-nihiliste.


Heureusement, il existe des auteurs plus équilibrés. Qui reviennent de loin, non dans le faire mais dans le défaire. Qui dissolvent nos ambitions dévorantes de faire de nos existences une oeuvre d'art digne de la plus chic des téléréalités. Qui procurent un contentement durable en établissant un rapport plus juste entre la conscience et ses déterminations inconscientes, la tristesse venant de l'échec à démêler les faux noms qui nous rendent serviles à des rêves créés de toutes pièces par l'Autre.


« A vingt ans, je croyais en mon destin funeste ; aujourd'hui, je connais mon destin banal. A vingt ans, j'aspirais aux Principautés de l'Orient ; aujourd'hui, je me contenterais, sans demander de détails ni poser de questions, d'une fin de vie paisible, quelque part en banlieue, patron d'un bureau de tabac somnolent. »


Certains auteurs peuvent rendre fous. Nietzsche, une fois encore, peut devenir dangereux pour peu qu'on le découvre au moment où on demande à être influencé. On peut avoir envie de renverser sa vie après deux heures de sa lecture et une série de désillusion. Mais Pessoa regarde tout ça avec neutralité. Pour avoir connu ces états extrêmes, pour avoir appris qu'ils ne mènent à rien, pour avoir accepté finalement de mener une existence banale, comme celle de tant d'autres, il peut écrire en âme et conscience :


« Ces illogiques à l'esprit maladif se moquent -de mauvaise grâce, au fond- du bonheur bourgeois, de la vie monotone du bourgeois qui vit plongé dans sa régularité quotidienne […], et de sa femme qui se distrait en tenant sa maison, qui est aux petits soins pour ses enfants et passe son temps à bavarder sur ses voisins et connaissances. Cela, pourtant, c'est le bonheur. Il semble, tout d'abord, que ce soient les nouveautés qui peuvent plaire à l'esprit ; mais les nouveautés sont rares, et chaque nouveauté n'est nouvelle qu'une fois. »


Pessoa ôte les insomnies de la bête en cage qui rêve de se libérer et qui, se faisant, amuse ses bourreaux. Pessoa détruit l'orgueil de celui qui aimerait devenir plus qu'un être humain alors qu'il ne sait même pas encore être humain. Pessoa nous rappelle qu'il est possible de jouir du peu, c'est-à-dire du nécessaire. Pessoa me ramène à ma bouteille de rouge, à mon plumard ou à mon jardin qu'éclaircit un rayon de soleil après la flotte (mais y crois-je vraiment ?).
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Ce livre prolonge et complète le livre de l'intranquillité. On retrouve l'écriture sublime de Pessoa, qui se dévoile en tombant les masques. le livre réunit des textes dans lesquels Pessoa parle de son écriture, de ses principes de vie. On y trouve aussi des lettres des ses amis et de sa famille qui dévoilent un peu cet homme aux mille masques. Il y a par exemple, une lettre de la soeur de Pessoa qui en 1985, c'est-à-dire juste après la parution de livre de l'intranquillité au Portugal, nous déclare qu'elle est passé à côté de son frère. Elle est très âgée en 1985 et elle nous raconte qu'elle voyait son frère insomniaque, qui écrivait toutes les nuits, mais elle n'avait aucune conscience de ce qu'il écrivait ni de son génie. On y voit la profonde solitude de Pessoa, son alcoolisme (mais personne ne l'a jamais vu soul), son goût pour le paranormal... Ce livre lève un peu le voile sur cet écrivain fascinant qui demeure malgré tout fascinant et mystérieux.
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Après la lecture des ces "recueils de pensées" jalonnant la vie de Pesoa, je suis plutôt déçu de découvrir un personnage si distant, si aristocrate et imbu de sa personne.Il me reste l'impression d'un homme plein de mépris pour soi même et l'engeance humaine, il est dommage, que ce génie littéraire se soit fourvoyé dans l'occultisme et se soit abandonné à un alcoolisme ravageur.
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Citations et extraits (47) Voir plus Ajouter une citation
Je m'adresse à vous pour vous poser une question qui n'est peut-être pas des plus agréables, mais qui malgré tout m'oblige à une démarche nécessaire réclamée par ma conscience.
J'ai été baptisé dans cette paroisse - dans cette église- le(...) juillet 1888 ; ma date de naissance est le 13 juin de la même année.
Or le baptême suppose, me semble-t-il, l'intégration de la victime au sein de l'Église catholique, et oblige l'individu, alors qu'il est encore un être irrationnel, à faire partie d'une association par trop humaine, et dont les théories ne rencontrent peut-être pas l'accord de cet homme parvenu à l'âge viril.
Voilà donc ce qui m'est arrivé : l'Église catholique, puissante autant que stupide, irrationnelle et décrépite, soutenant la vieille hypothèse d'un Dieu créateur, suprêmement stupide et suprêmement mauvais à en juger par (...)
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Projet de lettre au directeur de l'hebdomadaire anglais Answers. [1926]

J'ai un an de plus que votre correspondant et je me sens en pleine jeunesse, pour des raisons exactement opposées aux siennes. J'ai trente-huit ans et je me sens rajeunir chaque année, parce que je suis plus près, chaque année, de n'avoir rien accompli de ma vie toute entière. Accomplir nous vieillit. Toute chose à son prix ; le prix à payer pour accomplir quelque chose, c'est la perte de notre jeunesse. L'absence d'objectifs et un mode vie inconséquent - si toutefois le terme de "mode" peut s'appliquer à l'absence de tout but -, voilà ce qui nous garde jeunes. Je ne suis pas marié, et j'ai donc échappé aux plaisirs spéciaux comme aux soucis particuliers de ce type de partenariat ; la bonne et la mauvaise part de cet état nous vieillissent autant l'une que l'autre. Je n'ai jamais adopté de profession ou choisi de carrière, ni même soutenu d'opinion qui ne change la minute suivante. Je n'ai jamais connu d'ambition qu'une de nos belles journées (et elles sont fréquentes à Lisbonne, en toute saison) ou qu'une brise légère n'aient suffi à dissiper, en la réduisant à un rêve agréable et fortuit. Je n'ai jamais déployé d'effort réel pour atteindre quoi que ce soit, ni appliqué sérieusement mon attention à une autre chose que des objets frivoles, inutiles et imaginaires. Je me sens jeune parce que c'est ainsi que j'ai vécu. Vous me direz que je n'ai rendu aucun service à l'humanité, quel que soit le sens des mots "service" et "humanité" ; or, je pourrais discourir jusqu'à l'extinction des dernières étoiles sans que personne me donne la moindre preuve de l'utilité de ce service, ou la signification du terme humanité. Mais j'ai rendu à bien des gens le service de ne pas me trouver sur leur chemin. Je n'ai rivalisé avec les [...] ou les ambitions de personne, et ne me suis mis en travers de la grandeur naturelle d'aucun imbécile. J'ai agi envers les bons comme envers les méchants, je n'ai pas trouvé le criminel pire que l'homme ordinaire, comme cela se faisait à l'époque victorienne de mon enfance ou plutôt, à l'époque "géorgienne" de ma jeunesse actuelle. Je rajeunis de jour en jour parce que je n'ai jamais rien fait, et que je ne peux donc pas vieillir. Mes plaisirs sont simples, parce que je ne leur demande même pas d'être des plaisirs pour moi. Je suis spectateur de moi-même et des temps qui passent, et ne me crois pas moins sage que les grands hommes de ce petit coin d'univers. C'est pourquoi je suis capable, par le jeu naturel de l'imagination et de la fantaisie, de tirer de vastes empires de rencontres imprévues et de vous inventer de nouveaux mondes.
Si vous me permettez de conclure sur une remarque directe, qui possède le rare avantage d'être sincère, la lecture d'Answers est l'un de ces plaisirs.
Tout cela est assez littéraire, car je suis toujours moi-même assez littéraire - penchant tout naturel chez un esprit qui n'en possède aucun.

(P136-138 édition Bourgois Titre)
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1. N'AIE JAMAIS d'opinions fermes, et n'attache pas non plus une valeur excessive aux tiennes.
2. Sois tolérant, parce que tu n'as la certitude de rien.
3. Ne juge personne, parce que tu ne vois pas les motifs, mais seulement les actes.
4. Espère le meilleur et prépare-toi au pire.
5. Ne tue pas, ne maltraite pas, car ne sachant pas ce qu'est la vie, sinon que c'est un mystère, tu ne sais pas ce que tu fais en tuant ou en maltraitant, ni quelles forces tu déchaînes sur toi en tuant ou en maltraitant.
6. Ne cherche pas à réformer quoi que ce soit, car, ignorant à quelles lois les choses obéissent, nous ne savons pas si les lois naturelles sont en accord avec la justice ou, du moins, avec notre idée de justice.
7. Fais en sorte d'agir comme les autres et de penser différemment. Ne crois pas qu'il existe un lien entre l'action et la pensée. Il y a opposition. Les plus grands hommes d'action ont été des ânes pour ce qui est de l'intelligence. Les penseurs les plus audacieux ont été incapables d'accomplir un acte audacieux, ou de faire simplement un pas hors du trottoir.

(P152 édition Bourgois Titre)
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La fin de l’adolescence de Pessoa semble marquée par l’exaspération des tendances autodestructrices que nous avons déjà vues à l’œuvre, et le mener réellement au bord d’un gouffre. Sa lucidité exacerbée, sa connaissance accrue de lui-même le conduisent à un doute perpétuel et au bord du désespoir.
Cet état de crise aigüe aboutira brusquement, en 1914, au « Jour triomphal » de sa vie avec la naissance des rois grands hétéronymes -Alberto Caeiro, Ricardo Reis et Alvaro de Campos.
Ils se chargeront du fardeau de Fernando Pessoa, le laissant enfin accéder -nous le verrons- à toute la plénitude de sa force créatrice.
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L'homme, bouffon de ses aspirations, ombre chinoise de son désir inutile, demeure, révolté et veule, l'esclave de lois chimiques immuables, dans le tournoiement imperturbable de la terre, amarrée implacablement à un astre jaune ; sans espoir et sans repos, sans autre réconfort que le cocon de ses illusions sur la réalité, et la réalité de ses illusions. Il gouverne des États, promulgue des lois, fomente des guerres ; il laisse derrière lui le souvenir de batailles, des poèmes, des statues et des monuments. La terre ira refroidissant et rien de tout cela n'aura d'importance. Étranger à tout cela, étranger depuis sa naissance, le soleil un beau jour, s'il a éclairé, cessera d'éclairer ; s'il a donné la vie, il se donnera à lui-même la mort. D'autres systèmes d'astres et de satellites donneront peut-être d'autres humanités ; d'autres sortes d'éternités fictives alimenteront les âmes d'espèces nouvelles ; d'autres croyances suivront d'autres couloirs, bien éloignés de la réalité multiple. D'autres Christ inutiles monteront en vain à de nouvelles croix. De nouvelles sectes secrètes auront en main les secrets de la magie et de la Kabbale. Et cette magie sera différente, tout comme cette nouvelle Kabbale. Toutes ces humanités et toutes ces sectes n'auront en commun que leur illusion d'exister, et cette vérité finale selon laquelle elles cesseront un jour d'exister.

(P154-155 édition Bourgois Titre)
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Vidéo de Fernando Pessoa
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
Dans la catégorie : Littérature portugaiseVoir plus
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