Livre reçu grâce à l'opération Masse Critique.
C'est l'histoire d'une femme : Noire, jeune, jolie, pauvre, célibataire et mère d'un garçon de huit ans. Elle vit à Harlem, quartier que le mot "miteux" enjolive encore, survivant en faisant des ménages et divers travaux domestiques dont la teneur lui rappelle que, même libres, les Noirs sont socialement inférieurs aux Blancs. Dans ce New York de l'année 1944, Lutie Johnson essaie de s'en sortir : pour elle-même et pour que son fils, Bub, grandisse dans un environnement qui ne le fera pas basculer dans la délinquance. Déjà le garçonnet joue à cirer les chaussures, comme d'autres garçons de son âge, pour quelques cents.
Lutie a du courage : il en faut pour emménager seule dans un appartement crasseux de la 116ème rue. En plus du courage, elle a de la force, physique et morale, pour supporter les fatigues de la journée et les déceptions. Et aussi les prédations des hommes, dont aucun ne ressort grandi du roman. Tous, Blancs ou Noirs, sont immondes moralement : le père de Lutie est alcoolique, son ancien mari l'avait allègrement trompé pendant qu'elle travaillait dans le Connecticut, le gardien de son immeuble est un dangereux pervers, le chanteur Boots Smith ne la veut que pour son corps, Junto, le patron du bar éponyme, hésite entre la faire sienne et la mettre sur le trottoir.
Jones, principalement, est le grand artisan de la décrépitude de Lutie. Son regard pesant, ses apparitions presque fantomatiques dans les couloirs de l'immeuble, voire ses menaces physiques sur la jeune femme finissent de condamner Lutie à une vie miséreuse. Mais dans cet enfer quotidien que décrit le roman, cette condition noire aussi bien que féminine qu'
Ann Petry décrit, quelques difficultés se font jour.
Le roman souffre, sur certaines pages (principalement au début du roman), de phrases simples voire simplistes ainsi que de longueurs (par exemple : la scène où Bub, seul dans l'appartement, a peur de l'obscurité) qui alourdissent le rythme. le manque de nuance, aussi, dans les caractères présentés, ainsi que l'immoralité de tous les personnages, donnent une impression de lourdeur à la lecture. Pourtant, le propos serait très moderne : une femme élevant seule son enfant, travaillant et espérant quitter la misère dans laquelle est est engluée. C'est aussi tout un contexte historique que
Ann Petry décrit : celui d'une Amérique en guerre contre l'Allemagne nazie et qui pourtant, comme le dit Boots Smith, vit aussi une guerre intérieure entre les Blancs et les Noirs. le ressentiment souvent exprimé par Lutie ou par Boots envers les Blancs s'explique et se comprend. Si les femmes noires trouvent du travail, c'est que leurs qualités domestiques sont reconnues et que cela les enferre dans un rôle social déterminé et considéré comme inférieur. Les hommes Noirs, eux, ne trouvent pas de travail : on s'en méfie. de fait, condamnés à l'inaction, ils tournent en rond, s'ennuient, badinent et même, parfois, se bagarrent, au risque de se tuer.
Jusqu'à la dernière page, le lecteur est sur un fil : l'espoir d'une vie meilleure d'un côté, la menace d'un déraillement généralisé de l'autre. Avant de basculer.