Le cavalier hésitait à franchir la porte de la taverne de PNJ. Il s'agissait d'un des bas-fonds les plus sales et les plus ignobles d'Ariole. Les tueries y allaient en nombre croissant depuis que s'y étaient réfugiés les derniers survivants de la Garde d'Ynox. L'air était vicié et l'alcool venait encore l'empuantir, au bon plaisir des prostitués, mercenaires ou ivrognes, quand ils n'étaient pas les trois à la fois. Assis à une table, un homme d'âge mûr, les cheveux noirs, dont les muscles proéminents n'avaient d'égale que son fier organe que la pudeur cachait d'une feuille de vigne, fumait une pipe à l'abri des recoins obscurs.
« Pourquoi t'es là ? finit-il par grogner après l'avoir dévisagé sans ciller.
– Vous êtes le scribe Ouyar, n'est-ce pas ?
– Pourquoi tu me cherches, petit ?
– Bah comprenez… J'ai pas vu d'article là-dessus dans le Temple du Culte Maudit, ni dans la Tanière du Dragon-Ours, alors…
– Tu veux connaître la suite de Haut-Royaume, c'est ça ? »
Le paladin hésita un instant avant de répondre :
« Oui. »
Tous les regards se tournèrent vers lui. Plusieurs hommes dégainèrent leur poignard. D'autres avaient déjà la main à la garde.
« Dispersez-vous, les gars, dit l'homme en sortant un glaive de derrière son oreille. Vous voudriez pas qu'il vous arrive quelque chose de fâcheux, pas vrai ? »
La foule quitta les lieux en grommelant, jetant des regards en chiens de faïence aux deux hommes, signe de mauvaise augure. Pendant qu'il les regardait se disperser, l'homme tendit sa pipe à l'étranger.
« C'est du kesh ?
– Non, de la chicha. Par contre, fais pas nimp avec, je dois la rendre à un type avec des pieds tous poilus…
– Et… en ce qui concerne le tome 2 ?
– L'Héritier ? (Le scribe se redressa brusquement, montrant soudain la puissance de son torse viril.) Es-tu prêt à endurer la suite des tourments de ses personnages ?
– Oui, je le suis.
– À subir les machinations politiques qu'ils ourdissent dans l'ombre, à tenter de démêler des intrigues coriaces quitte à en perdre la raison ?
– Oui, je le suis.
– À esquiver les torrents de spoils et les arcs prévisibles qui se dresseront sur ton chemin ?
– Oui, je le suis.
– Alors, prends cet ouvrage, lui dit-il en lui tendant un vieux grimoire à la couverture moisie. Mais encore une fois, tu ne sais pas à quoi tu t'exposes… »
Critique no spoil
Bah oui, parce que figurez-vous que Haut-Royaume 2, c'est un sacré mélange d'excellentes idées et d'autres beaucoup moins bonnes. D'où adrénaline, d'où frustration. Et je vais encore faire dans les détails, mais pas mal de trucs collent pas terrible. J'en ai pas parlé pour le tome 1, mais je vois ici des cohortes de Jean-Kévin défiler pour dire : « Ah, mais ça se peut pas, y'a des canons dans un univers médiéval, c'est pas réaliste ». Sauf que pas forcément, étant donné que le monde semble autant inspiré de la Renaissance et que tous les mondes alternatifs n'ont pas forcément une évolution technologique synchronisée. Là où le bât blesse, c'est quand
Pierre Pevel fait apparaître du tabac et des cigares. D'où est-ce qu'ils viennent ? Y'a-t-il d'autres continents que l'Imélor ? Cela provient-il de colonies ? On t'en parle que dalle, pas un nom ni rien chez un auteur qui aime pourtant pas mal les paragraphes d'exposition. Dans la même lignée, les mariages arrangés y vont aussi à trois pattes parce que dans cet univers ils ont lieu à vingt-cinq ans, soit avec dix ans de retard. le Moyen-Âge a beau être l'époque des troubadours et des licornes forniquant des hippogriffes, faut pas oublier qu'on mourait bien plus vite et que les chevaliers étaient des gros beaufs machos qui dès qu'ils voyaient une donzelle ayant passé la vingtaine se disaient : « Ah ben elle est périmée celle-là. »
Cela dit, mis à part ça c'est vraiment bien traité, autant sur le plan psychologique que politique. L'auteur nous balance pas des caisses de mouchoirs et de jeune héroïne rebelle qui fuit ces noces qu'elle n'a pas voulues en chevauchant son étalon cheveux au vent. Ses personnages féminins restent pourtant crédibles, autant ceux qui préparent ce genres de coups que ceux qui se les ramassent, et on se prend à essayer de deviner pourquoi la jeune Alissia va recevoir tel époux et pas un autre. Pas très féministe, me direz-vous. Oui, mais on a dans ce même chapitre qui nous dévoile cette situation exclusivement des femmes, toutes fortes mais chacune avec leurs failles plutôt que l'increvable cliché des guerrières badass monodimensionnelles. Très franchement, bravo pour ce coup-là.
Et puis il y a la trame principale. Après les problèmes de l'Yrgaärd, voilà-t'y pas que la cité d'Arcante se rebelle contre la reine alors que le Haut-Roi semble définitivement sorti du game. Ça sent le siège… Et difficile de savoir dans quel camp se ranger. Les canons jouaient déjà un rôle important dans les combats du tome 1 ; dans une scène pivot, la poudre est omniprésente tant dans l'action que dans la stratégie, c'est simple, à elle seule, cette partie peut être considérée comme de la gunpowder fantasy. Les intrigues secondaires s'emboîtent bien mieux que dans le tome 1 : au lieu d'en faire une en entier puis de passer à la suivante tout en délaissant la primaire, elles s'entremêlent entre elles sans perdre de vue celle-ci. Certaines scènes sont brillantes pour leur intensité et leur chute comme celle de l'invocation d'Asnarys.
Bref, au final, à peu près tout semble baigner dans l'huile. Sauf que…
Critique avec spoil
du bon usage des cliffhangers
À la fin du tome 1, Lorn était dans la de-mer. Égorgé ou peu s'en faut avec son chat et son écuyer, l'assassin s'en allait sur une musique badass tandis que la Tour d'Onyx en flammes explosait derrière lui. Flûte alors ! se disait le lecteur. Comment il va s'en sortir ? Qui va venir le sauver tant qu'il est encore temps ? Car enfin, il fallait bien qu'il survive. Je dis pas ça parce que c'était le héros, je dis ça parce qu'il était le pion des forces lumineuses comme celles obscures, qu'il fallait qu'on sache de quel côté il tomberait finalement, parce qu'il avait des tas de secrets, à commencer par qui est le tueur (puisque le début nous fait clairement comprendre que c'est pas Alissia), et que tout annonçait avec lui une flopée d'intrigues à la cour, ne serait-ce que pour savoir pourquoi la reine se montre soudain si sympathique envers lui. Sauf que Lorn s'en tire pas.
Ouille.
Ce qui logiquement me pose un problème de taille : on ne tue jamais un personnage au sommet de son potentiel, car c'est là que le lecteur veut savoir comment il va s'en sortir. le buter, c'est la solution de l'écrivain fumiste qui sait plus quoi en faire, ou bien alors, y'a qu'une solution, très risquée : le ressusciter (ce qui est bien sûr le cas, même le chat ressuscite, d'où le titre de la critique. Par contre, l'assassin qui avait lui aussi du potentiel se fait buter au bout de deux apparitions). Il faut 150 pages pour que Lorn pointe le bout de son nez, ça douche l'enthousiasme. Pourtant l'idée de finir comme ça, au coeur du suspense, pourquoi pas, après tout ? D'où le fait qu'il faut que je me livre à une analyse rapide : c'est quoi ce qui distingue un bon d'un mauvais cliffhanger ?
À bien y réfléchir, aucun cliffhanger n'est bon ou mauvais en soi. C'est la gestion des attentes qu'il suscite chez le destinataire qui est l'endroit où on peut se casser le nez. Prenons l'exemple de Terra Nova, par tonton Spielberg : on découvre que les mystérieux dessins sur la roche trouvés par les voyageurs du temps des dinosaures étaient en fait l'oeuvre du petit-cousin qui faisait son devoir de maths. Si aucun nouvel élément n'est mis en scène et qu'il s'agit juste d'une astuce pour être sûr que vous achèterez la suite, alors effectivement votre récit ne s'en porte que mieux sans (et largement, j'ai envie de dire…). Et en l'occurrence, dans ce bouquin, je dois bien avouer que la mort de Lorn n'est pas gratuite étant donné qu'elle amène de nouveaux enjeux : la dépression d'Alissia, la Garde d'Onyx menacée, Alan qui tente de prendre sa place mais ne se sent pas à la hauteur… Simplement n'y avait-il pas moyen de faire autrement ? On aurait tout simplement pu le savoir depuis le début, ce qui aurait d'ailleurs pu éviter une scène de retrouvailles un peu trop à l'eau de rose.
L'invasion des curés venus de l'espace
On apprend aussi que Jall, le prince prêtre, est un salopard prêt à tout pour devenir pape. Ce qui est extrêmement mal foutu, pour deux raisons.
La première est un défaut que je n'avais pas imputé au premier tome pour la bonne raison que je ne voulais pas trop alourdir les aspects négatifs. L'Église du Dragon-Roi Sacrifié ressemble comme deux gouttes d'eau à la notre, d'où une dénonciation avec de gros sabots de l'intolérance religieuse. J'appelle ça du gâchis, car ça a déjà été fait un nombre incalculable de fois, voire en mieux, et créer tout un panthéon pour garder juste cette divinité et une ou deux pour jouer les créatures païennes de service, c'est idiot. On sent clairement que Pevel se sentait dans l'obligation de dire « le christianisme c'est mal », un défaut vraiment inhérent à une bonne frange de la fantasy française.
La deuxième est que durant tout le long de la trame principale, tu le perçois comme un protagoniste, et puis d'un coup, il est seul, et là on te déballe tout son background en mode « mouhahaha je vais dominer le monde » (d'ailleurs, ça le refait un peu plus loin avec le duc de Feln). Alors que ça servait strictement à rien de le faire à ce moment-là. On pourra reprocher ce qu'on veut à la Reine des Neiges, mais ce film avait tout compris en manière de révélation du méchant. Tout le long, on pense qu'il est gentil, et au moment seulement où il devient l'élément-pivot du récit, la vérité est dévoilée. D'où aucune exposition superflue et un effet de surprise bien plus percutant.
Et puis les trucs limite pas cohérents, quoi… Comment ils ont pu voir son corps à son enterrement s'il était en vie ? Alors oui, on te refile bien une explication, mais ça fait quand même pas mal tiré par les cheveux… (Enfin bon, ce sera toujours mieux que le faux cadavre en imprimante 3D… *rire sardonique*) Et puis quand le Haut-Roi marque sur un bout de papier que Lorn est son fils, il réagit comme si c'en était la preuve ultime, alors que qu'est-ce que ça nous révèle de plus que ce qu'on savait déjà ? du coup, pendant un instant, j'ai cru que c'était à lui qu'il léguait son royaume, ce qui aurait débouché sur un twist exceptionnel…
Vous savez quoi ? C'est pas que le bouquin est mauvais, c'est qu'on l'a mal relu. Ce qui explique les répétitions, les phases qui n'ont aucun sens (« Désolée d'arriver seulement », dixit la page 516), et qu'avec tous les jeux de flash-backs, on se retrouve avec plusieurs fois le même passage, parfois pour nous expliquer un détail qu'on avait pas vu, parfois de manière totalement gratuite. J'en sais rien, moi ! Voir deux fois Estévéris dire « Aha, regarde comme je suis subtil » exactement de la même manière, allez pas me dire que c'est fait exprès de la part de l'auteur, ou bien alors il a voulu montrer qu'il était le plus intelligent en voulant mélanger toutes les époques de son histoire… sauf que
Pierre Pevel est trop malin pour ça et que ça ne sert strictement à rien.
Enfin bon, à côté de ça, la psychologie du héros se voit de plus en plus riche et bien écrite. le passage « tout est perdu » m'a vraiment scotché. Au final, le livre va s'améliorant dans son dernier quart et la sauce finit par prendre. On sait que certains éléments vont arriver, mais comment et de quelle manière ? Alors c'est prévisible, c'est parfois un peu facile, mais du coup ça n'en reste pas moins passionnant. Côté cliffhanger, on est encore servis mais avec bien plus de subtilité, plus un twist en bonus dans la toute dernière page.
Un mot sur l'édition papier
De toute évidence, mes fournisseurs m'ont envoyé la version low cost : le logo de la couverture est remplacé par le titre dans une police bien moche (ou du moins qui aurait convenu à un ouvrage de SF), la page 296 a des lignes anormalement espacées et les pages 301 à 319 ont le bas couvert de pâtés d'imprimerie. Bragelonne a pas intérêt à me faire le même coup pour un de ses livres de 400 pages à 28 balles sous prétexte qu'ils sont grands formats…
Bref : achetez-le en liseuse ou ne le commandez pas à une librairie. Si vous tenez à l'avoir en chair et en os, vérifiez bien qu'il s'agit de l'édition normale et pas d'un ersatz.
Conclusion
Haut-Royaume 2 s'avère légèrement en-dessous de son précédesseur ; non pas qu'il soit mauvais pour autant, la psychologie de la plupart des personnages étant toujours aussi bonne et les intrigues politiques maîtrisées. Mais à force de vouloir ramifier avec toutes sortes d'évènements pour en mettre plein la vue au lecteur,
Pierre Pevel s'emmêle les pinceaux et confère finalement beaucoup moins d'impact à son histoire, quand ce n'est pas carrément déballé de la manière la plus grossière qui soit. le dernier tiers est nettement meilleur et évidemment, ça se termine sur un cliffhanger, mais il me faudra un plus gros hameçon si vous voulez que je lise le tome 3 avant d'ici un an ou deux. Enfin bon, essayez quand même, c'est pour votre culture…
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