si mon regard s'aventure
jusqu'au sommet de la crête
voici venir Sylvie et Gérard
sur le chemin bariolé d'herbes
puis un chien de berger fureteur
et les cyclistes de passage
grâce au chemin de halage
en roue libre comme Cingria
un jeune couple marche au pas
peut-être a-t-il lu le récit
de la Guerre de la Vache
à l'ombre des murs de Poilvache
un moine copiste a frémi
devant les serfs aux doigts tranchés
mais au tribunal domestique la vache fut acquittée
nous piétinons nos souvenirs
au lieu d'observer l'eau lente
et ses fidèles images
d'une vie entre d'autres rives
CETTE ÂME PERDUE
Extrait 3
fendre l'heure et fendre du bois
fendre la foule et puis se fendre
d'un sourire fendre la glace
quand on ne sait comment la rompre
se défendre d'aimer la cendre
ou de se saouler au fendant
se fendre d'un drachme et passer
d'une rive à l'autre du temps
p287
CETTE ÂME PERDUE
Extrait 2
au pied des tombes oubliées
un rideau s'écarte d'une main
blanche tremble à la fenêtre
deux yeux noirs un visage maigre
une heure sonne mais personne
dans la ruelle une chanson
s'élance et s'éteint d'où vient-elle
on l'oubliera le vent se lève
p.286
CETTE ÂME PERDUE
Extrait 1
les beaux pays les arpents clairs
la brume lumineuse l’air
suspendu parmi les saules
les mouettes aux longues ailes
et le miroir des canaux
la compagnie des corneilles
autour du clocher solitaire
et les bouquets artificiels
…
p.286
PASSAGE DES OMBRES
Natures mortes
la tabatière d’écaille
on l’a posée sur le livre
à la reliure ancienne
mais du titre en lettres d’or
un mot se devine à peine
ce serait le mot enfance
il y a des fleurs séchées
dans une chope d’étain
à gauche l’appui de fenêtre
reçoit un trait de lumière
qui se réfracte à travers
les lunettes oubliées
peut-être par Jean Follain
p.69
si je n'ai rien perdu
rien n'aurai-je gagné
à répéter l'indu
l'on se mange le nez
mon père m'a donné
ce que m'a pris ma mère
avant que d'être né
j'aurai goûté l'amer
picon de l'agonie
je serai mort souvent
sans souci d'harmonie
et la chemise au vent
que dire sinon couac
il ne fait pas beau temps
dans l'enfer des familles
et le feu est au lac
(André Pieyre de Mandiargues)
le premier accord d’un trio d’Arensky
dans le si lourd crépuscule douloureux
où meurent et renaissent les incendies
ce soir encore tu l’entends alors qu’
il vient une dame éclatante et funèbre
ta voisine oubliée ta promise ardente
et glaciale Eurydice prétendais-tu
dans les éclats de rires et les cris de bêtes
Orphée, toi donc ? Indigne du violoncelle
et des sanglots de la fidèle captive
tu erres maudit dans les années sordides