Citations sur Portrait craché (28)
C’est dans les livres, et avec les livres, que j’ai vécu, dit-il encore, dit-il toujours. La révélation de l’enfance n’a rien perdu de son étrange luminosité. De cela au moins il tient la certitude. Les livres le relient à tous les passés mémorables, et ce qu’il a négligé de lire constitue un avenir, car les livres font échec au temps. Les voies de la découverte, en dépit de l’âge, ne cessent de s’ouvrir à sa curiosité. Aussi physiquement diminué soit-il, l’univers de la lecture ne cesse de s’ouvrir à lui, ménageant en dépit des avanies du destin les portes dérobées d’une intime jouissance. p 37
...accueillir la mort et en quelque sorte de lui
faire place nette.
p.191
Maintenant que des dizaines de volumes tous précieux l'ont rejoint dans ce logement de la dernière heure sans doute, il se sent à nouveau rassuré, presque euphorique, et les manifestations de la douleur semblent se raréfier, voire disparaître. Que cela se révèle plus tard une illusion ne le contrarie pas.Les livres sont des analgésiques. Il leur attribue ce rôle d'adoucisseurs de la maladie avec une foi de prosélyte.
( p.38)
Le paradoxe est là : grandir alors qu'il ne le souhaite pas, mais qu'il y est contraint pour s'affirmer aux yeux des mégères. Il a huit ans lorsque l'idée de la fugue prend naissance en lui.
(p.94)
Tous nous avons soif de reconnaissance.La maladie, en nous éloignant de l'anonymat commun, nous confère, croyons- nous, un statut individuel. Enfin différent, le malade tenu pour tel se détache du troupeau.
(...)
Mais la civilisation occidentale est un leurre. Transporté en Afrique ou en Inde, le malade en est réduit à la condition de paria.Et c'est bien à cette condition qu'enfant, le personnage espérait être voué. Car,enfant, il pensait la maladie comme la chance d'être solitaire et de pouvoir rêver. Le bonheur d'être abandonné de tous, et d'abord des parents, le transportait au comble de la vie.
(p.61)
Et la lecture prend le pas sur la douleur, on dirait presque qu'elle la maîtrise, sans cesser de l'évoquer par un silence habité. La littérature, que le monde aujourd'hui méprise, est la seule sauvegarde. Il suffit de quelques lignes souveraines et modestes, et le ciel change de couleur. Il y a comme un parfum de résurrection (...)qui réveille les sens et apaise le cœur.Les mots vont bien au-delà d'eux-mêmes, et leurs échos nourrissent l'esprit qui était " en proie aux longs ennuis", et qui s'éveille enfin donnant les images salvatrices.
( p.31)
Il ne s'est jamais éloigné de l'enfance, l'enfance où tout est vrai lorsque tout est faux. Non, l'enfant demeure en son esprit la seule vérité, il n'importe pas qu'elle soit controversée. On ne peut la supprimer d'un trait de plume.Elle est à la fois blanche et noire comme la poésie. Obscure et lumineuse. Il s'étonne qu'aussi rares soient les personnages de la vie qui aient recours à l'enfance, leur propre enfance, en face du mystère intégral que constituent le corps et l'esprit, les sens et la prescience de leurs propres enfants, qu'ils veulent à tout prix modeler à la forme des adultes qu'ils sont devenus.L'enfance incomprise- qui souhaite et refuse d'être comprise- se déroule dans ce " Jardin secret " que Larbaud a si sensiblement décrit dans " Enfantines " .Larbaud le collectionneur de soldats de plomb.
( p.156)
Il pense à Verlaine, mais le ciel n'est pas bleu, mais calme.Les arbres sont figés dans une attente que l'on croirait sans fin.Les feuillages paraissent poussiéreux et racornis, déjà, bien que l'automne soit encore loin. La souffrance des arbres fait écho à la mienne.
( p.129)
Les couloirs de l'hôpital sont remplis de poètes qui s'ignorent. Un espoir désolé marque les visages. L'essentiel est dans tous les regards, mais manque la connaissance.
L’intuition de la mort est là, mais toujours couverte d’un voile. Or, sans la perspective ancrée en soi de la fin dernière, la poésie n’aurait aucun sens. C’est à la mort que nous parlons quoiqu’il arrive. Mais sa présence nous hausse au-dessus de nous-mêmes, et rend la vie plus précieuse. p 79 80
Il faut mourir un jour. Cela aussi, à condition d’y arrêter sa pensée, est rassurant. Le scandale serait celui d’une vie interminable, dégradante et dénuée du moindre attrait, de l’heureuse incertitude qui fait de la surprise devant un instant de beauté le prix d’un moment, et la valeur de la mémoire. Or, le voici désarçonné de constater combien l’idée même du cancer devient vivifiante. Enfin l’ennemie ou l’amie la mort se déclare et le rassure. Il est mortel et conserve le droit de lutter pour la vie. p 179