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Critique de Henri-l-oiseleur


Alcibiade est un fougueux jeune homme, dévoré d'ambition, qui se flatte de parvenir à ses fins, la puissance politique, par sa richesse et sa beauté. Il a découragé tous ses admirateurs, qui voulaient nouer avec lui une amitié amoureuse, sauf Socrate qui demeure à ses côtés et pratiquera avec lui la fameuse discipline maïeutique, par laquelle, en bon amant (ou éraste), il va s'efforcer de conduire son aimé (l'éromène) à l'excellence. En effet, Eros est ici présent comme force et dynamique éducatives, menant le jeune objet d'amour à réaliser ses potentialités et ses meilleures qualités. Pour cela, par un questionnement obstiné et impitoyable, Socrate montre à Alcibiade l'étendue de son ignorance, et plus encore, l'ignorance où il est d'être à ce point ignorant, puis lui prouve que s'il veut le pouvoir politique, il lui faut un savoir qui manque à tous les politiciens professionnels, la connaissance de soi. Seule cette connaissance permet de discerner le bien du mal, le beau du laid, dit-on en grec, et de tendre vers ce qui est bien et excellent pour soi comme la cité que l'on se propose de gouverner.
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Ce n'est pas sans tristesse qu'on lit ce manuel du parfait homme d'état, tel que Platon le conçoit par le biais de Socrate et d'Alcibiade. Il suffit de regarder autour de soi et d'examiner les personnes qui se prétendent mandatées démocratiquement pour nous gouverner, pour sentir la mélancolie nous étreindre. Platon, génialement, renverse la sentence "Connais-toi toi-même", qui rappelait à l'homme ses limites de mortel, de loin inférieur aux dieux, pour lui donner un autre sens : se connaître, à savoir connaître son âme, c'est être capable de discerner en soi une part divine, la trace en nous de la divinité : "qu'y a-t-il de plus divin que cette partie où résident la connaissance et la pensée ? ... Cette partie semble toute divine, et celui qui la regarde, qui sait y découvrir le divin dans sa totalité, un dieu et une pensée, celui-là a le plus de chance de se connaître soi-même."
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La lecture de ce petit dialogue, prescrite dès l'antiquité comme entrée dans les études platoniciennes, est une parfaite introduction à la méthode socratique, et aux grands thèmes que l'on trouvera développés dans les autres ouvrages de Platon. J'ajoute que l'exposé initial des ambitions d'Alcibiade fait de lui une sorte de préfiguration d'Alexandre, et l'on pense d'autant plus au conquérant macédonien que la Perse, le Grand Roi, les voisins asiatiques, font plus figure de proies offertes, que d'ennemis dangereux. Enfin, on se souviendra qu'Alexandre et ses généraux devenus rois, furent divinisés, comme en écho aux paroles finales du dialogue d'Alcibiade, où l'homme qui veut se connaître lui-même trouve en lui un dieu. Nul doute que Platon, en choisissant la pire figure politique de l'histoire athénienne, l'aventurier Alcibiade, comme personnage central d'un dialogue sur l'excellence politique et ses exigences, n'ait fait preuve d'une amère ironie, peut-être présente aussi dans le quatrième poème de "Mythologie" de Georges Séféris (1934), qui commence par une citation de l'Alcibiade :
"Son âme
Quand on veut la connaître
C'est dans une âme
Qu'il faut la regarder."
L'ennemi et l'étranger,
Nous l'avons vu dans le miroir.
καὶ ψυχὴ
εἰ μέλλει γνώσεσθαι αὑτήν,
εἰς ψυχὴν
αὐτῇ βλεπτέον
Le poème évoque l'expédition des Argonautes, d'Alexandre et de tant d'autres, qui ont fui aux extrémités du monde plutôt que de se connaître.
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