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Critique de 5Arabella


De Poe on a surtout l'image forgée par Baudelaire, qui l'a ardemment défendu et traduit. Ses traductions, très belles, il faut le reconnaître, ont longtemps été jugées indépassables, rendant difficile une autre approche. La majorité des lecteurs français de Poe l'ont donc découvert dans ses traductions. Ce que les deux traducteurs de cette édition proposée par les éditions Gallmeister, Christian Garcin et Thierry Gillyboeuf questionnent, ce n'est pas tant la qualité de la traduction du grand poète, mais plutôt le choix des textes effectué par Baudelaire. Ils font l'hypothèse, qui semble convaincante, que la sélection faite par Baudelaire correspondait à l'idée qu'il se faisait de Poe, et au-delà, de celle de l'écrivain romantique, maudit, miné par l'alcool et les maladies, se précipitant dans la tombe précocement. Il aurait donc choisi les textes qui correspondait à cette vision, laissant de côté ceux qui ne correspondaient pas à cette image. Et Poe a pourtant écrit de nombreux textes qui sortent de ce cadre : textes satiriques, grotesques, pastiches et parodies.
Les deux traducteurs se proposent dans cette édition d'offrir aux lecteurs l'intégralité des nouvelles, proposées dans l'ordre chronologiques, permettant d'avoir une vision complète de l'oeuvre de Poe. Et les textes comiques ou absurdes sont au final majoritaires dans ce premier volume. Certains sont drôles, pleins de verve, même si pour d'autres où il pastiche par exemple une revue de son temps (Blackwood), l'humour n'est pas toujours complètement compréhensible par le lecteur d'aujourd'hui. Mais dans l'ensemble, ce n'est pas désagréable à lire, et parfois vraiment drôle.
Toutefois, il est vrai que les textes les plus passionnants sont les nouvelles très connues, celles que Baudelaire avait sélectionnées, et qu'on associe spontanément au nom de Poe. Ce sont celles-ci que le lecteur aura envie de relire ultérieurement, sautant peut-être lors d'une relecture les textes satiriques. Néanmoins, cela ne met pas en cause le bien-fondé du choix des traducteurs : avoir accès à l'ensemble des textes de Poe paraît essentiel. D'autant plus que la traduction proposée est de qualité. Les traducteurs ont fait le choix de ne pas essayer de moderniser la langue, ils se sont refusé à utiliser les mots qui n'existaient pas en français à l'époque où les textes ont été écrit, pour permettre au lecteur d'entrer dans l'ambiance spécifique de Poe. Berenice, Morella, le Roi Peste, Ligeia, William Wilson et bien évidemment La chute de la maison Usher, qui donne son titre à ce premier volume de nouvelles impriment leur marque sur le lecteur.
Ces textes sont très célèbres, et de très nombreuses études et analyses en ont été faites, il est donc difficile d'y apporter quelque chose d'original ou de vraiment intéressant. Ce que cette belle traduction met en évidence, c'est l'incertitude, qui est la spécificité du fantastique : le lecteur ne sait pas, n'est jamais sûr, que ce qui est raconté relève du surnaturel ou est un effet de la neurasthénie du narrateur ou du personnage principal, voire d'un état second entraîné par l'usage de l'alcool et/ou des drogues. Poe est magistral dans le maniement de l'incertitude, de l'ambiguïté. Une femme a-t-elle été enterrée vivante ou celui qui le croit sombre-t-il dans la folie ? Une morte s'est-elle réincarnée dans sa fille ou est-ce ce que souhaite croire le père et mari ? Chacun peut croire ce qu'il veut, l'auteur ne nous donne jamais une réponse univoque. Il crée, instille un climat, une ambiance propices à toutes les interprétations, à la libération de l'imaginaire de son lecteur, qui peut ouvrir les portes de son esprit. Des images frappantes, étranges, dont les significations pourront continuer à surgir, restent après la lecture, et travaillent l'esprit du lecteur, très longtemps après qu'il ait renfermé le livre.
Un très beau voyage, même si on connaît ces textes, qui supportent parfaitement plusieurs lectures et qui s'enrichissent même à chaque fois de nouvelles idées et visions.
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