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Critique de HundredDreams


« Sa mère a écrit : de même qu'une personne dévorée / l'animal en lui / la peau ? sur lui / qui l'emprisonne / Shy est à l'intérieur, mais la peau est aussi lui, enragée et vraie. Je suis presque jalouse. »

Ce qui m'a portée vers ce roman, c'est tout d'abord la magnifique couverture de Nathanaëlle Herbelin, cette sorte de beauté sauvage, intimiste et introspective, émotionnellement touchante. Ce qui frappe dans ce tableau, c'est tout d'abord ce chien noir, long sur patte et efflanqué, seul, la tête basse, misérable, abandonné. Puis le regard se déplace vers l'horizon et on aperçoit alors un paysage marin, profondément mélancolique, notes à dominante terreuse, piquetées de touches blanches et lumineuses.

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Dès la toute première page, j'ai compris que ce roman ne serait pas comme les autres.
Des phrases courtes, souvent nominales, parfois un seul mot.
Des phrases en anglais, concises elles aussi. Percutantes. Nerveuses. Incisives. Lapidaires.
Et puis, il y a le style d'écriture qui d'emblée se démarque des lectures habituelles. Original et puissant. Une poésie profondément humaine qui s'entrelace avec une écriture plus crue, acérée et sans merci.

*
Shy s'enfuit à la faveur de la nuit, un sac rempli de pierres sur le dos pour rejoindre la mare voisine. Il fuit un établissement scolaire qui accueille de jeunes délinquants particulièrement violents. L'école de la dernière chance aide les enfants en souffrance, en détresse.
Rejetés, exclus, perdus.
Tous ont une histoire, déjà lourde malgré leur jeune âge.

« La nuit est immense et elle fait mal… le monde est atrocement calme et nu. »

Shy fuit cette école qui, en fermant bientôt ses portes, le repousse, l'abandonne.

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Le temps d'une nuit, on plonge dans le monde de Shy, un monde qui étreint, emmure et écrase par sa force littéraire.
A mesure qu'il marche dans la nuit, l'adolescent est submergé par des souvenirs qui le hantent, le rongent et le grignotent, mais aussi par d'autres voix que la sienne, camarades, parents, éducateurs.
Le lecteur l'accompagne dans le cheminement de ses pensées, dans cet aller-retour incessant dans le temps.

Lorsque le passé est évoqué, les phrases s'allongent, interminables, ponctuées de virgules. Un flot de paroles qui se libèrent et s'enfoncent dans l'intime, nous aidant à ressentir la personnalité de Shy. Mésestime, fragilités, failles, solitude, espoirs, rêves avortés, échecs, colères, peurs, honte, culpabilité, regrets, rage, fuite.
Moqueries. Blessures.
Perte de confiance. Perte de repères. Perte de contrôle.
Dépression. Destruction.

Et pourtant, malgré tout cela, ou à cause de tout cela, je me suis attachée à cet un enfant en décrochage scolaire, psychologiquement et émotionnellement perturbé, angoissé et suicidaire, colérique et agressif. Sa fragilité m'a touchée, sa détresse m'a émue, son besoin de reconnaissance et d'amour m'a bouleversée.

*
Un langage visuel d'une émotion vive et bouleversante.
Une voix perdue, en souffrance, irascible, emportée, révoltée qui n'arrive pas à apprivoiser ses émotions.
Un style parfaitement maîtrisé et abouti, musical, rythmé par la musique électronique qu'écoute Shy à longueur de journée. Un son heurté, fracturé, métallique.
Une mise en page réfléchie, particulièrement intéressante.

« Réfugié dans sa capuche, dans un monde parfait de basses et de breaks et de scansions mitraillette. Emporté. »

Ce que je retiens également, c'est le mouvement singulier de ce roman qui adopte une narration tournoyante dans sa façon de raconter la vie de Shy. Entre phrases courtes et longues, entre vide et trop-plein, entre pensées intimes et monologues intérieurs encombrés de multiples voix, entre terreurs nocturnes et rêves éveillés, le récit alterne à la fois sa fuite, sa rage et son désespoir, mais également l'impuissance de son entourage à apaiser ses tempêtes intérieures.

« Tu prends trop de place. »
« Je te déteste. »
« Est-ce que tu as une idée du mal que tu fais ? »
« J'ai envie de crever. »

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Entre retour sur l'enfance et quête de soi, Max Porter livre un texte féroce, intense sur les douleurs et les traumatismes de l'enfance. Magnifiquement écrit, Max Porter parvient à capter l'isolement au sein de la famille, de l'école et des camarades, le regard blessant et dévalorisant d'autrui.
Un roman original, inattendu.
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