... la production requiert du travail et du capital […] les émissions sont une conséquence nécessaire de la production […] ces émissions engendrent un changement climatique sous la forme d’une hausse de la température globale. La hausse de température diminue la production totale : ce sont les dommages liés au changement climatique.
Tout commence, paradoxalement, avec le rapport du Club de Rome. Publié en 1972, ce rapport, intitulé « Les limites à la croissance » (Limits to Growth), s’inscrit dans la tendance de fond des années 1960, pendant lesquelles les problèmes environnementaux deviennent visibles et le régime économique existant est contesté. Les conclusions fortes de ce rapport marquent les consciences : sans arrêt de la croissance démographique et industrielle, l’économie-monde est vouée à l’effondrement, par pénurie de ressources naturelles ou par excès de pollution.
Dépenser pour sauver le climat et améliorer le sort des générations futures, alors que des mesures moins coûteuses seraient plus bénéfiques pour elles, voilà ce que redoute l’Économiste.
L’enjeu est d’obtenir une allocation optimale des ressources, celle qui maximise le bien-être social. À quoi bon consacrer quelques points du PIB mondial pour limiter le réchauffement climatique si le bénéfice net est faible ? Ces sommes seraient peut-être mieux employées pour la consommation directe, ou pour d’autres causes d’intérêt général, comme la lutte contre la faim dans le monde, l’éradication des pandémies… ?
Peu importe que les coûts soient faibles, si les bénéfices sont encore plus faibles.
Les évaluations des coûts de réduction reposent sur des trajectoires démissions ou des cibles exogènes : le réchauffement climatique acceptable est fixé hors de l’analyse économique par un jugement personnel, un consensus scientifique ou une négociation politique. Cette façon de faire ne satisfait pas l’Économiste. Pour lui, cet objectif doit être déterminé par des considérations économiques, en fonction de ce qu’il rapporte. Si calculer les coûts d’un objectif est un premier pas nécessaire, le véritable raisonnement économique impose de mettre des bénéfices en regard des coûts des réductions des émissions.
Les problèmes commencent lorsque l’Économiste cherche à comparer ces coûts aux bénéfices de limiter le réchauffement. Sa quête d’une solution optimale le pousse à réaliser une analyse coût-bénéfice dans laquelle la lutte contre le changement climatique est considérée comme un moyen parmi d’autres de transmettre de la richesse dans le futur.
Cette complexion propre à l’Économiste, qui le pousse à ignorer les inefficacités, est bien illustrée par cette plaisanterie : un ingénieur et un Économiste flânent. L’ingénieur aperçoit un billet de cent euros par terre et le dit à l’Économiste, qui répond : « Impossible, quelqu’un l’aurait déjà ramassé."
Les modèles font des hypothèses simplificatrices conformes à la vision du monde véhiculée par le discours économique. Ainsi, ils supposent le plus souvent que les politiques de réduction sont mises en œuvre de manière efficace, à moindre coût. En d’autres termes, les coûts des techniques, leur évolution et le potentiel de réduction associé sont connus, les bonnes décisions sont prises et exécutées, ce qui arrive est bien ce qui était choisi. Information complète, anticipations correctes, marchés parfaits qui transmettent exactement les changements de prix à des acteurs rationnels : ce sont là les briques fondamentales du discours économique.
… ces chiffres donnent l’image [encore !] d’une lutte contre le changement climatique peu coûteuse.