Les contours fixes de ce monde nous les avons laissés à terre. Et on va la regagner enfin, la splendeur brûlante de nos vies. Nous sommes dans le souffle, qui jamais ne s'arrête. La bouche du monde s'est refermée sur nous. Et l'on va donner nos forces jusqu'à en tomber mort peut-être.
Pour nous la volonté de l'exténuement.
Ils étaient vivants, eux, et le sentaient à chaque instant. Ils étaient dans la vie magnifique, luttant au corps à corps avec l’épuisement, avec leur propre fatigue et la violence de l’au-dehors.
[...] Ils gueulent toujours sur le Rebel, et j’ai sacrément la trouille, mais je donnerais tout pour pouvoir repartir avec eux.
[...] Une fois de plus je plonge mon couteau dans les ventres blancs. La chair lisse et tendue résiste un instant, puis cède. La lame s’enfonce d’un coup – le sang jaillit dans un éclair et inonde la table. Il coule sur le pont en rigoles écarlates. Nous sommes les tueurs des mers, je pense, les mercenaires de l’océan et nous en portons la couleur.
Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska. Mais y arriver à quoi bon. J'ai fait mon sac. C'est la nuit. Un jour je quitte Manosque-les-Plateaux, Manosque-les-Couteaux, c'est février, les bars ne désemplissent pas, la fumée et la bière, je pars, le bout du monde, sur la Grande Bleue, vers le cristal et le péril, je pars. (début du livre)
– Mais moi, c’est le Rebel que j’attends. C’est avec ceux qui sont à bord que je veux continuer la pêche.
– La saison finie, ils partiront de toute façon.
– C’est vrai. Alors j’irai à Point Barrow.
– Qu’est-ce tu veux foutre à Point Barrow ?
– C’est le bout. Après y a plus rien. Seulement la mer polaire et la banquise. Le soleil de minuit aussi. Je voudrais bien y aller. M’asseoir au bout, tout en haut du monde. J’imagine toujours que je laisserai pendre mes jambes dans le vide… Je mangerai une glace ou du pop-corn. Je fumerai une cigarette. Je regarderai. Je saurai bien que je ne peux pas aller plus loin parce que la Terre est finie.
– Et après ?
– Après je sauterai. Ou peut-être que je redescendrai pêcher.
Je vois les oiseaux passer quelquefois. Les salauds, je pense, les chanceux… ils volent, eux.
De toute façon je m'en vais toujours. Je peux pas m'en empêcher. Ça me rend folle quand on m'oblige à rester, dans un lit, une maison, ça me rend mauvaise. Je suis pas vivable. Être une petite femelle c'est pas pour moi. Je veux qu'on me laisse courir.
Devant moi l'océan. Il frémissait depuis l'horizon, il avançait jusqu'aux confins du monde. Je voulais que cela m'engloutisse. J'arrivais au bout du chemin. Il fallait choisir à présent.
"Un silence fait autant d’indifférence que de soumission."