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Critique de Charybde2


Le tome 5, ce bloc de 300 pages d'amour obsessif et paranoïaque, et ses effets induits.

Publié en 1923, premier des trois tomes sortis après la mort de Proust, « La prisonnière », tome 5 de « La Recherche », est aussi le seul avec « le temps retrouvé » à ne proposer aucun découpage en chapitres, et ce n'est à mon sens pas du tout anodin, lorsqu'on a pu jauger, au cours des quatre tomes précédents, les rôles extrêmement précis qu'assigne Proust à ces découpages et à leurs alternances de longs rythmes majestueux (les trois chapitres centraux de « Sodome et Gomorrhe », ou le flot irrépressible du dernier chapitre du « Côté de Guermantes », par exemple) et de coups chirurgicaux de poignard (le premier et le dernier chapitre de « Sodome et Gomorrhe », le premier chapitre de la deuxième partie du « Côté de Guermantes », ou encore le dernier chapitre de « du côté de chez Swann »).

Ce n'est pas anodin parce que, sans doute, l'obsession dévorante ne peut pas se découper, se détailler, se désassembler, qu'elle est elle-même flot tumultueux qui emporte tout sur son passage, et que « La prisonnière » est bien le récit, en 300 pages, de l'obsession amoureuse poussée à son paroxysme, la passion paranoïaque du narrateur pour Albertine - et son obsession de la préserver à tout prix de sa tentation des amours lesbiennes - le conduisant rapidement à une quasi-séquestration de son amoureuse dans son logement parisien provisoirement déserté par sa mère, et à son inscription dans un étroit réseau de surveillance par des proches « de confiance ».

Ce cinquième tome constitue par ailleurs une véritable prouesse narrative dans le cadre de l'ensemble de la « Recherche », à un double titre.

D'abord, alors que le narrateur lui-même nous a détaillé (mais en nous masquant la temporalité depuis laquelle il parlait à ce moment-là, il est vrai) les affres de l' « amour de Swann », dans le premier tome, l'auteur peut rééditer l'ensemble du processus en l'amplifiant, en le déployant et en le raffinant, sans que la sensation de « déjà vu » ne dépasse, précisément, le rôle d'enclume qui lui a été fixé, sur laquelle le marteau va pouvoir frapper sans relâche et pour le plus grand bonheur (pervers ?) du lecteur. Un homme averti, définitivement, n'en vaut pas deux, en matière d'amour obsessionnel, en tout cas.

Ensuite, l'ironie jubilatoire qui traverse les quatre premiers tomes, lorsque l'auteur, avec cette cruauté pince-sans-rire qui s'est peu à peu imposée comme une marque de fabrique dans son « attitude » vis-à-vis des personnages, se moquait de tout le monde ou presque, atteint ici un sommet encore inviolé, lorsque le narrateur « âgé », depuis le bout du chemin et le « Temps retrouvé » nous avertit, lecteur, tout au long du volume, que les efforts de Marcel sont vains, que sa confiance en les différents chaperons qu'il utilise auprès d'Albertine est particulièrement mal placée, et qu'au fond, régulièrement, sa paranoïa va se tromper de cible en ce qui concerne les personnes, et va obtenir in fine, comme toute jalousie et comme tout l'indiquait clairement – sauf pour l'aveugle Marcel, au fond de son trou, rivé à ses oeillères – le résultat opposé à celui recherché, qui lui explosera à la figure dans les trente dernières lignes du tome - qui, exceptionnellement dans la « Recherche », enchaînera donc à la minute près avec les premières lignes du suivant, « Albertine disparue ».
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