Citations sur A la recherche du temps perdu, tome 5 : La Prisonnière (181)
Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d'aller vers de nouveaux paysages, mais d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres.
Je compris que ce que Brichot, peut-être sans s’en rendre compte, préférait dans l’ancien salon (…), c’était cette partie devenue purement morale, d’une couleur qui n’existait plus que pour mon vieil interlocuteur, qu’il ne pouvait pas me faire voir, cette partie qui s’est détachée du monde extérieur pour se réfugier dans notre âme, à qui elle donne une plus-value, où elle s’est assimilée à sa substance habituelle, s’y muant -maisons détruites, gens d’autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons- en cet albâtre translucide de nos souvenirs, duquel nous sommes incapables de montrer la couleur qu’il n’y a que nous qui voyons, ce qui nous permet de dire véridiquement aux autres, au sujet de ces choses passées, qu’il n’en peuvent avoir une idée, que cela ne ressemble pas à ce qu’ils ont vu, et que nous ne pouvons considérer en nous-même sans une certaine émotion, en songeant que c’est de l’existence de notre pensée que dépend pour quelque temps encore leur survie, le reflet des lampes qui se sont éteintes et l’odeur des charmilles qui ne fleurissent plus.
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Mais alors, n’est-ce pas que ces éléments, tout ce résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l’ami à l’ami, du maître au disciple, de l’amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu’il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu’en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l’art le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l’art nous ne connaîtrions jamais?
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Il faudrait choisir de cesser de souffrir ou de cesser d'aimer. Car, ainsi qu'au début il est formé par le désir, l'amour n'est entretenu plus tard que par l'anxiété douloureuse. (p125)
Il est curieux qu'un premier amour, si, par la fragilité qu'il laisse à notre cœur, il fraye la voie aux amours suivantes, ne nous donne pas du moins, par l'identité même des symptômes et des souffrances, le moyen de les guérir.
On n’aime que ce qu’on ne possède pas tout entier.
Il regrettait jusqu'aux dîners dispendieux qu'il avait offerts à la jeune fille depuis qu'ils étaient fiancés et desquels il eût pu dire le coût, en fils de valet de chambre.
Nous trouvons de tout dans notre mémoire. Elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux.
Ceux qui apprennent sur la vie d’un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l’explication de choses qui précisément n’ont aucun rapport avec lui
La jalousie n’est souvent qu’un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l’amour.