Elle longea le petit champ de lavande qu'elle avait découvert presque par hasard en se promenant. Il était bien rare en Provence Verte qu'on cultive ces fleurs, sans doute un nostalgique de sa Drôme Provençale avait-il voulu recréer ici le décor de son enfance. Chaque année, Naïs attendait avec impatience leur floraison pour s'en venir cueillir de grandes brassées. Une fois les fleurs séchées, elle les récupérait, les enfermait dans de petits sacs de coton et en garnissait son armoire et les tiroirs de sa commode. Quel plaisir ensuite de humer le linge imprégner de son odeur ! Ce parfum, c'était le parfum de la Provence, celui qui les yeux fermés la conduisait jusque dans les Hautes-Alpes où la lavande poussait en reine. C'était aussi le champ dans lequel elle avait rencontrer Césaire pour la première fois. Depuis, elle associait toujours cette senteur à cet instant de bonheur. Quand ils voulaient se voir discrètement, c'est ici qu'ils se donnaient rendez-vous.
Comme tout un chacun, il avait remarqué sa beauté un peu sauvage, sa joyeuse humeur et la faveur qu’elle semblait obtenir dans le jugement de son père. Il s’était dit que, dans un an ou deux, il ferait sa demande, car elle était encore trop jeune à son goût. Mais, parce qu’elle semblait mépriser ses discrètes avances, il s’attacha à l’idée de l’épouser. Il ne supportait pas qu’on lui résiste.
Il se pencha à nouveau au-dessus de la Servi et regarda son reflet, un sourire sur les lèvres, un éclat nouveau dans les yeux. Le reflet de Naïs s'était dissous, mais il savait qu'il la retrouverait, entière et bien réelle. Peu importait où et quand, il fallait simplement y croire.