AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Merik


Merik
13 septembre 2023
C'est sur une scène de roman traditionnel que s'ouvre ce roman, quelque part dans une ferme d'Allemagne aux abords du lac de Constance en fin de guerre, avec le point de vue omniscient du romancier pour décrire l'histoire d'amour entre une fermière et le soldat français qu'elle héberge : «La douceur de leurs peaux. L'humidité de leurs sexes. L'énergie de leurs muscles. le plein de toute cette vie qui bat dans leurs veines et irrigue si fort leurs corps, exulte, ne demandait que ça depuis des mois, exulter.»
Mais le point de vue se fera tout autre par la suite. Celui introspectif de Simon – peut-être en ombre portée de l'auteur, qui prend la parole et nous révèle avoir imaginé cette histoire. Il n'en sait rien à vrai dire si ça a eu lieu dans une grange, si elle était blonde ou rousse, il n'a même pas cela : « un geste familier, un éclat de rire sonore ou léger, un grain de voix, une humeur enjouée, au contraire une gravité qui n'appartenait qu'à elle ». Et pourtant elle l'a habité cette histoire, il l'a déjà écrite dans un de ses précédents livres. Tout ce qu'il sait il le tient d'une famille où ce secret était enseveli sous « quelque chose comme un ordre supérieur aux allures de glacis, chape de silence devenue invisible à force d'habitude, [...], parée de souci du prochain : si je ne t'ai rien dit c'était pour ton bien». Autant dire qu'il ne sait pas grand-chose.
Du moins il ne savait pas grand-chose. Jusqu'à l'enterrement du grand-père en question, et un oncle d'origine allemande qui va lui révéler l'existence d'un fils caché de l'ancien soldat outre-Rhin, « chaque nouvelle phrase de Franz comme une déflagration sourde que j'avais sentie se propager dans tout mon être». Là l'auteur prendra le temps d'amplifier le moment, augmentant sa résonance à coup de participe présent, de phrases s'enchaînant en paragraphes sans point ni majuscule. On peut penser au Nouveau Roman, à Claude Simon et ses participe présent de « La route des Flandres », même si c'est la route de Constance que Simon envisagera pour une mise en lumière des dénis familiaux, avant de rebondir suite à sa rupture. Une quête de secret en résonance avec soi pour un narrateur qui mesure ce que cela dit de lui, le roman finissant par dessiner avec brio des portraits en creux ou en ombre en plus de celui de Simon, la silhouette du fils caché, ou celui d'une famille touchante malgré ses dénis et ses silences.

Voilà de nouveau un très beau roman de Sylvain Prudhomme qui change de maison d'édition, de Gallimard à Minuit (même si l'une a racheté l'autre), avec des teintes un peu désuètes (et si charmantes) de Nouveau Roman et de secret. Un Sylvain Prudhomme sur le chemin singulier d'une oeuvre aux accents de sincérité, avec ce roman introspectif fait de mise en relief des êtres dans leur part ombrageuse. Un (court) roman très attachant, sur le fil sensible d'une écriture intuitive et somptueuse, au final croustillant de délicatesse.

« J'ai continué plein nord et peu à peu j'ai senti que je basculais dans un autre monde. Celui des sapins, des épicéas, des forêts gorgées d'eau. Pays reculé dans les contreforts des montagnes, loin des mers. Pays auquel le brouillard allait bien. Où tout était fixe. Où les lacs et les hauts arbres reposaient immobiles dans leur écrin de vallées, et c'étaient les brumes qui tantôt les prenaient tantôt se retiraient d'eux, comme fluait et refluait la mémoire. Pays des fantômes, des souvenirs, des secrets.»
Commenter  J’apprécie          676



Ont apprécié cette critique (53)voir plus




{* *}