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Critique de Melpomene125


L'amour entre une jeune femme israélienne et un jeune homme palestinien est-il possible, malgré les désaccords politiques qui séparent ces deux peuples depuis bientôt soixante-dix ans ?

Après Une histoire d'amour et de ténèbres d'Amos Oz, je poursuis ma découverte de la littérature israélienne avec Sous la même étoile de Dorit Rabinyan. Je remercie Bookycooky qui, par sa critique, m'a fait découvrir ce roman.

Liat et Hilmi se rencontrent par hasard dans un café new-yorkais où Liat attend Andrew, un ami américain qui n'a pas pu venir. Il lui envoie à la place son professeur d'arabe, Hilmi. Liat est étudiante en master de littérature anglaise et philologie. Son visa s'achève en mai. Hilmi est aussi un artiste, un peintre originaire de Ramallah. Ils vont tomber amoureux, ils sympathisent et se comprennent d'emblée, unis par ce physique moyen-oriental qui, un an après les attentats du 11 septembre 2001, leur attire parfois des ennuis. Liat lui raconte comment des agents du FBI viennent de frapper à sa porte et de l'interroger car un homme l'avait trouvée suspecte et l'avait suivie jusque chez elle. Il avait signalé une Moyen-Orientale qui envoyait des messages en arabe avec son ordinateur. Les enquêteurs, rassurés par la nationalité de Liat, comprennent vite qu'il y a méprise. Ce n'était pas de l'arabe mais l'hébreu de ses traductions. Cette anecdote les rapproche. Hilmi veut montrer à Liat son atelier mais il égare les clés de son appartement et ne peut rentrer chez lui. Liat le suit dans les rues de New York à la recherche de ses clés. Elle ne peut se séparer de lui, l'abandonner.

J'ai trouvé que ce récit du début de leur amour était à la fois émouvant et poétique, une triste métaphore de la condition du peuple palestinien qui ne peut rentrer chez lui. Les multiples guerres du conflit israélo-palestinien lui ont fait perdre une partie de sa terre d'origine. Liat est consciente du problème. Mais que peut-elle y faire ? Elle n'a que son amour à donner. Hilmi se met à l'appeler avec tendresse Baazi, contraction arabe de doux petit poix. Pour lui, elle ne sera désormais plus que Baazi.

Mais quel peut être l'avenir de leur amour ? Tout, en apparence, est voué à les séparer. Surtout la politique, car le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens depuis la création de l'État d'Israël ne peut que les rattraper, malgré la profondeur de leur amour.

Un livre d'« une finesse rare », commente Amos Oz. Ce mot est tout à fait approprié. C'est avec finesse et humanité que la difficulté de cet amour fort et sincère est évoquée, sans jamais attiser les haines et les rancoeurs, qui se sont forcément accumulées après tant d'années de conflit. Les disputes qui surgissent, de manière insidieuse, entre Liat et Hilmi n'éludent aucun des sujets qui divisent ces deux peuples, comme sur l'armée israélienne que Hilmi, qui est athée comme son défunt père, compare au Hamas : des armes et des textes sacrés dans les deux cas. Liat est souvent excédée. Elle ne comprend pas comment, à New York, ses positions peuvent devenir si droitières alors qu'en Israël, avec ses parents, elle est à l'opposé des idées conservatrices. Elle se sent prise dans un conflit de loyauté. Pendant ses deux ans de service militaire obligatoire, elle a juré sur la Bible de rester fidèle à l'État d'Israël. N'est-elle pas en train de trahir ? Cette angoisse la rend froide et lâche. Elle tient absolument à garder sa relation avec Hilmi secrète pour la préserver du regard, du jugement de ses proches : ses parents, ses amis israéliens, elle a peur de paraître déloyale, la fille qui trahit son pays et rejoint l'ennemi.

« Pour vivre heureux, vivons cachés », dit le proverbe. C'est ce que Liat essaie de faire avec Hilmi. Leur union n'en est que plus intense et passionnée. Ils sont si amoureux, si semblables, ils vont fêter ensemble le Nouvel An iranien, Norouz, chez des juifs américains d'origine iranienne et Hilmi connaît tous les mets succulents qui sont servis au cours de ce repas car les Arabes et les Orientaux s'en délectent aussi.

À la lecture de ce livre, on comprend les difficultés auxquelles doivent se heurter les diplomates lorsqu'ils essaient de réconcilier ces deux peuples antagonistes et pourtant cousins, selon la Bible (Ismaël, ancêtre du peuple arabe, et Isaac, ancêtre du peuple juif, ont le même père Abraham). Tant de tragédies sont difficiles à dépasser. Hilmi se souvient du village d'où sa famille a été chassée et où il ne souhaite même plus revenir, ce serait trop douloureux, il a fait sa vie ailleurs. Avec son frère Wasim, il pense qu'un État binational est, à terme, inévitable, alors que Liat ne peut s'empêcher de songer à la catastrophe initiale, la Shoah, l'extermination des juifs d'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, et craint qu'un nationalisme arabe vengeur ne remplace le sionisme, le nationalisme hébreu. À chaque dispute, elle se demande comment ils ont pu en arriver là, à ressasser encore ces vieilles histoires. « Qui cela peut-il bien intéresser ? Qui a encore de la force pour ça ? » « Laisse tomber », lui répond Hilmi.

Mais Hilmi et Liat s'aiment et se parlent. Ainsi, ils contribuent à faire reculer la haine et les préjugés. La dédicace « Pour Hassan Hourani (1973-2003) » laisse entendre que ce jeune homme prématurément décédé, qui, lui aussi, était peintre, a fortement inspiré le personnage de Hilmi.

« Tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles » écrivait Victor Hugo à propos des Misérables. J'aurais envie de le dire aussi pour ce livre Sous la même étoile qui n'oublie pas de mettre en valeur les points communs de ces deux peuples unis par l'amour pour une même terre dont la beauté aride est, dans les dernières pages, si bien décrite, à l'opposé du froid new-yorkais que Liat et Hilmi ne supportent pas, habitués qu'ils sont à la douceur du climat de leur pays, leur terre d'origine qu'elle se nomme Israël ou Palestine.
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