Après la trilogie Alexandre de
Valerio Manfredi, quoi de plus naturel que d'enchaîner avec la pièce de Racine ?
Évidemment, avec les conditions de temps et de lieu imposées au théâtre classique, impossible pour
Jean Racine de passer en revue l'ensemble de la carrière du conquérant. L'auteur se concentre sur l'affrontement d'Alexandre et des princes Indiens au bord du fleuve Hydaspe. Il s'inspire des antiques, surtout
Quinte-Curce, mais ne suit pas leur Histoire à la lettre et se permet quelques inventions afin de renforcer la romance.
Alexandre débarque donc au bord de l'Hydaspe et, comme d'habitude, veut imposer sa domination. le raja Taxile est hésitant. Il est prêt à accepter la suprématie d'Alexandre pour préserver la paix. le raja Porus ne fait aucune concession ; c'est son honneur et sa gloire de s'opposer au Macédonien, de vaincre ou de mourir, peu importe à la limite.
C'est là que la romance s'impose. Axiane – personnage inventé – est la reine d'un autre royaume d'Inde que les deux rajas convoitent. Et il est clair que la belle tend plus du côté de Porus d'un point de vue politique (et amoureux, mais chut). Elle cherche à faire basculer Taxile dans son camp. Cependant elle ne l'admire pas ; porter la guerre impressionne plus que rechercher la paix dans le coeur de cette femme.
Là où ça se complique, c'est que Taxile est lui-même déchiré entre Axiane qu'il adore et sa propre soeur Cléofile qui ressent une attirance partagée pour Alexandre (elle aurait effectivement été sa maitresse) et cherche à le faire basculer dans l'autre camp.
Bref, amour et politique sont profondément intriqués. La pièce donne la part la plus importante à Porus, au point que l'on pourrait se demander pourquoi Racine l'a appelée
Alexandre le Grand. Deux raisons possibles à cela : les conflits entre troupes de théâtre parisiennes – les « autres » opposant un Porus à cet Alexandre – et le fait qu'il s'agit avant tout d'amadouer
Louis XIV qui se reconnaîtra plus dans le conquérant que dans le vaincu.
Porus m'a fait penser au
Cinna de
Corneille. La même opposition au tyran, et la même clémence dudit tyran envers un adversaire valeureux. Mais les amours dominent et guident la politique chez Racine. Un peu trop à mon goût – je suis plus Cornélien. La biographie d'Alexandre fourmille de situations qui auraient pu faire de grandes tragédies. Si l'on reste au bord de l'Hysdaspe, imaginer un Taxile qui aurait pris les armes contre Alexandre, déchirant ainsi Cléofile entre son amour et son frère, aurait pu tailler des croupières à
Horace de
Corneille. Développer l'opposition entre Alexandre et les Macédoniens fatigués refusant de le suivre plus avant avait aussi un énorme potentiel tragique.
Ce n'est pas cela qu'on lit. C'est bien fait ceci dit. Racine est très fort dans son genre de prédilection. Mais je n'ai été que moyennement satisfait.
Jugement très subjectif, j'en conviens.