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Critique de BazaR


Ça a un côté marrant de lire des pièces évoquant la mythologie grecque : on ne sait jamais a priori quelle version de l'histoire l'auteur va nous offrir. C'est comme se balader dans une tripotée d'univers alternatifs.

L'épopée des Labdacides a évidemment de quoi faire s'écouler énormément d'encre, au sens propre, tellement elle déborde d'événements héroïques et tragiques. Racine ne pouvait pas passer à côté. La Thébaïde est sa première pièce jouée par la troupe de Molière et publiée en 1664 ; pas un franc succès pour ce petit nouveau de la scène. L'histoire de ces débuts est excellement racontée par 5Arabella et je vous renvoie vers sa critique pour les détails.
Au sein de l'épopée des Labdacides, Racine se concentre sur le conflit qui oppose les deux fils d'Oedipe, Étéocle et Polynice, pour le trône de Thèbes. Pour les événements, il s'inspire essentiellement des Phéniciennes d'Euripide mais en se concentrant sur les deux frères là où le tragique grec évoquait une période plus longue (ce n'est pas un mal, à mon avis).
On s'éloigne donc de Sophocle sur certains points : on ne sait pas si Oedipe est mort suite à la découverte de ses parricide et inceste, où s'il a fait le voyage à Colonne. Ismène, soeur d'Antigone, n'existe pas. Jocaste ne s'est pas suicidée après avoir découvert que son époux était aussi son fils. En revanche Hémon, fils de Créon et donc cousin d'Étéocle et Polynice (c'est compliqué hein), et amant d'Antigone (soeur des deux frères ennemis) est bien présent.

Première pièce ou pas, j'ai bien apprécié la clarté avec laquelle les vers de Racine expliquent les événements, les ambitions et les sentiments. J'ai en particulier trouvé originales les raisons qui opposent les deux frères. Il avait été planifié qu'ils se relaieraient sur le trône de Thèbes, un an chacun. Mais après sa première année, Étéocle refuse de laisser sa place à Polynice qui revient à la tête d'une armée argienne pour réclamer son dû.
J'ai en général une vision d'Étéocle comme du méchant de l'histoire. Racine inverse ce sentiment, en affirmant que le peuple de Thèbes tient à conserver Étéocle comme roi et en aucun cas l'échanger pour Polynice qui s'annonce comme un tyran. de fait, Polynice crie haut et fort que le peuple n'a pas droit à la parole ; il doit subir, simplement, l'autorité du roi légitime. Étéocle apparaît ici comme presque « élu » par son peuple ; c'est un roi « républicain ».
Cependant je ne m'illusionne pas. Racine inverse « mon » sentiment sur les deux frères, mais replacé dans son époque, je crois que c'est encore Polynice – sorte de représentation de l'absolutisme – que l'auteur favorise. Un roi « élu du peuple » ne pouvait que dégoûter un Louis XIV qui se souvenait de la Fronde.

Je suis en revanche moins satisfait du carnage suicidaire avec lequel Racine son dernier acte. le suicide final de Créon en particulier – un homme présenté comme ambitieux, sournois, prêt à tout pour récupérer le trône pour lui-même – me laisse sceptique. L'auteur associe bêtement le tragique à la comptabilité mortuaire. Mais à mon avis trop de morts injustifiées tuent la sensation de tragique.

Mais l'un dans l'autre mon ressenti final est positif. Cette pièce est une bonne façon de découvrir la tragédie des frères ennemis. Que cela ne vous empêche pas cependant de chercher ailleurs d'autres interprétations.
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