L'Irlande du Nord restait dans mon souvenir les interviews de
Gerry Adams à la BBC, sans sa propre voix, censurée, et qui parlait qu'une paix était possible, alors que des bombes explosaient à Londres au début des années 90, là nous habitions à l'époque.
Une impression étrange de violence réelle, mais distante et incompréhensible.
La France n'avait pas encore connu des attentats terroristes d'un tout autre genre, tel celui du métro Saint-Michel en 95.
Nous savions bien que l'histoire de l'Irlande a connu bien des vicissitudes, une famine dévastatrice, une guerre de religion moderne, ayant abouti à la partition de 1921.
Nous avions vu le film Bloody Sunday, et encore récemment sur Arte des documentaires fouillés, mettant en lumière des parcours individuels pavés de deuils et de souffrance.
Alors so what, que peut apporter un livre de journaliste, qui ne prend pas partie, et n'a pas la hauteur de vue d'un historien?
Au final, beaucoup, la modestie de Keefe qui a beaucoup recherché, mais reconnait qu'il n'a pas pu tout savoir, donne au récit une densité et une puissance qui va crescendo.
Créer la haine de l'autre camp est finalement plus aisé que de l'arrêter, une fois que actes criminels, envers des civils et les vengeances qui s'en suivent, ont dépassé le seuil de la seule justification militaire.
Le récit ne s'appuie que sur des faits et témoignages de certains des acteurs, et écrit habilement nous parle des femmes disparues et des femmes meurtrières, aussi déterminées que leurs frères d'armes, telles les soeurs Price, impliquées dans une grève de la faim en prison, antérieure à Bobby Sand.
Keefe ne juge pas ses protagonistes, il met en évidence combien la rédemption est quasi-impossible, combien le renoncement à des objectifs politiques est dangereux au sein de chacun des deux camps.
Il nous trace la formidable ambiguïté de Adams, capable de diriger l'action paramilitaire violente, comme de négocier une paix durable depuis 98.
Le paysage nord-irlandais reste gris, ce territoire où tout le monde connaissait tout le monde, ce qui n'a pas empêché les traitres de fleurir.
Le reportage devient un grand livre, une leçon d'humanité quand les charniers révèlent peu à peu leurs derniers secrets.