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1972 à Belfast, Jean McConville veuve et mère de dix enfants est enlevée chez elle et disparaît. Ses enfants n'auront plus jamais de nouvelles d'elle. La fratrie finira éclatée, placée dans des orphelinats dont certains ne sortiront pas indemnes. Pourquoi Jean a-t-elle été enlevée et par qui ? Qui avait intérêt à faire disparaître cette femme apparemment sans histoire ? En suivant ce fil rouge Patrick Radden Keefe retrace l'histoire de l'Irlande des années 70 à aujourd'hui à travers une enquête journalistique particulièrement riche et documentée. C'est ainsi tout le conflit Nord-irlandais que le journaliste explore, entrant dans le fonctionnement de l'IRA, revenant sur les grands épisodes marquants de cette époque comme par exemple les attentats au Royaume-Uni ou les grèves de la faim des Blanket Men. Et jusqu'à l'élection en tant que député de Gerry Adams et les scissions qui apparaissent au fil du temps entre les différents protagonistes dont les vues finiront par diverger.

Je l'ai dit, c'est extrêmement bien documenté et le récit met à jour une bonne part de zones d'ombre de cette page d'histoire. Patrick Radden Keefe a pris le parti de réellement donner vie aux témoins de l'époque en suivant particulièrement certains d'entre eux comme Dolours Price ou Brendan Hugues. Ce sont ainsi tous ces portraits et points de vue croisés qui donnent toute sa force au récit et qui nous immerge dans les heures difficiles de l'Irlande. le livre est aussi très intéressant par l'analyse qu'il fait des séquelles psychologiques qui restent même après avoir quitté une lutte qui s'est menée armée. Car poser des bombes, tuer des personnes (parfois même des compagnons d'arme considérés comme des mouchards), mener des grèves de la faim, ne sont pas anodins. Tout comme voir celui qui fut un meneur, Gerry Adams, pour ainsi dire rentrer dans le rang en accédant aux plus hautes fonctions politiques. Beaucoup se sont sentis trahis, abandonnés avec leur conscience et leur passé.

Et que devient Jean dans tout cela ? le travail d'enquête permettra de donner une piste et une hypothèse très crédible en ce qui concerne sa disparition.

C'est extrêmement érudit mais toujours accessible même si on n'est pas familier de cette période des Troubles qui ont secoué l'Irlande et l'Angleterre. Il n'est pas surprenant que ce livre ait été largement remarqué (Prix Orwell du livre politique 2019 ; National Book Critics Circle Award pour la Non fiction 2019…). Une enquête journalistique très précise qui donne un bel éclairage sur cette période complexe aux nombreuses répercussions.
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Je me doutais que ce bouquin allait me faire vivre une panoplie d'émotions, mais pas à ce point! Je ressors de cette lecture avec l'impression d'avoir totalement méconnu l'Irlande et le conflit qui faisait rage à l'époque des Troubles. Habitant loin de ce pays, j'étais loin de me douter de la terreur et des attentats qui faisaient rage au sein du pays de mes origines.

Patrick Radden Keefe nous dévoile le portrait de ce pays et, plus spécifiquement, d'une communauté où le danger rôde à chaque coin de rue. Il y avait un climat de suspicion et de terreur. L'on ressent l'ambiance qui prévalait à cette époque. J'avais vraiment l'impression de parcourir les rues avec les membres de l'IRA.

Je devais me rappeler constamment en lisant que les événements présentés au sein de ce bouquin sont réellement survenus. Ils sont basés non seulement sur des faits, des citations mais également sur des documents dont l'auteur a su la chance d'avoir entre ses mains. C'est un travail colossal de recherches et d'analyses. Et tous les éléments présentés ont définitivement changé ma vision du conflit.

Il aura fallu près de quatre années pour mener à bien ce bouquin et quant à moi, c'est totalement réussi. Je comprends maintenant pourquoi ce livre a reçu une si grande notoriété. J'en ressors ébranlée et j'ai le goût de le relire. Car je ne vais pas vous le cacher… ce livre ne se lit pas d'une traite. J'ai dû prendre mon temps pour le lire et me laisser imprégner par l'ambiance, mais également afin de canaliser les émotions que je ressentais. L'auteur a su rédigé un texte d'une précision et d'une fluidité hors du commun. Un travail journalistique que j'admire totalement!

Je ne voudrais pas partir un débat politique autour des événements survenus à cette époque ou bien ceux qui se déroulent encore aujourd'hui en Irlande, mais je suis restée sur plusieurs questions et j'ai encore plus le goût d'en savoir un peu plus sur cette culture. Et cela, je le dois à cet auteur. Il m'a ouvert les yeux sur des faits réels et non romancés. Un livre qui ne peut laisser quiconque indifférent! Un véritable coup de poing… coup au coeur!

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Il y a encore deux ans, quand on se rendait de Dublin à Belfast par l'autoroute, le seul indice du passage dans un autre Etat était un grand panneau indiquant « Vous entrez en Irlande du Nord », sur lequel une main malicieuse, partisane de la réunification, avait barré d'une croix le « du Nord »… Cette quasi-absence de matérialisation de la frontière, encore beaucoup plus nette qu'entre la plupart des pays continentaux de la Communauté européenne, il y a fort à parier qu'elle n'est plus ou ne sera plus très prochainement qu'un agréable souvenir, tant le Brexit aura réussi à reconstruire les murs entre les deux Irlande, et même, comme en témoignent certains faits-divers récents, à ranimer déchirure et violence entre les Républicains et les Unionistes, les catholiques et les protestants, dans la petite enclave du Nord toujours liée au Royaume-Uni. « A Belfast, l'histoire est bien vivante, et dangereuse », écrit Patrick Radden Keefe, au terme de la formidable enquête qu'il a consacrée aux « Troubles », la période de la Guerre civile au cours de laquelle s'opposèrent l'IRA, les paramilitaires protestants, la police de la RUC et l'armée britannique. « Cet ouvrage, déclare-t-il aussi, pour décrire son projet, n'est pas un livre d'histoire, mais de journalisme narratif », une façon de souligner la volonté d'insuffler toute la puissance du vécu, de l'émotion ressentie par les acteurs et témoins qu'il a rencontrés et interrogés, dans le récit qu'il a construit. Point de départ de ce travail : la disparition, jamais élucidée, un soir de décembre 1972, de Jean McConville, mère veuve d'une famille nombreuse, kidnappée dans son immeuble d'un quartier pauvre de Belfast. Pourquoi cet enlèvement d'une femme, laissant des enfants traumatisés pour leur vie entière, pourquoi son assassinat, et l'enfouissement de son corps, retrouvé il y a seulement quelques années ? Qui sont les responsables de cet acte, et pour quels motifs ? Déroulant le fil de son enquête, Patrick Radden Keefe évoque les événements, marches et manifestations endeuillées par les guet-apens des loyalistes ou les charges des militaires, attentats à la bombe à Belfast ou à Londres, grèves de l'hygiène ou de la faim, mettant en évidence le rôle des grandes figures de l'IRA, Gerry Adams, les soeurs Price, Dolours et Marian, Brendan Hughes ou Bobby Sands, mais aussi d'une multitude de personnes restées dans l'ombre, petites mains ou victimes marquées à jamais par la violence des « Troubles ». Il dévoile la puissance de manipulation des uns, l'importance des trahisons et du mouchardage des autres, montrant toute l'ambiguïté parfois des sources de l'engagement des individus dans la cause, l'écrasante tyrannie surtout du silence autour des faits les plus troublants de cette guerre. « Ne dis rien », cette injonction qui donne son titre au récit devient le maître-mot qui dicte l'attitude des uns et des autres, dans un climat de menaces pour qui laisserait courir sa langue, une promesse de représailles qui reste toujours en vigueur aujourd'hui… Best-seller aux Etats-Unis, lauréat du très prestigieux Prix Orwell, lecture préférée de Barack Obama (et quoi qu'on pense de l'homme, c'est un grand lecteur, fin et perspicace… D'autres de ses choix l'ont montré !) en 2019, ce reportage se dévore d'une traite, comme un roman, interrogeant avec beaucoup de sagacité les limites de la violence et du secret en politique. Un grand moment de lecture !
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Voilà un livre puissant, passionnant. le sujet est politique éminemment politique. Et j'ai adoré. J'ai découvert le conflit qui opposait l'IRA aux royalistes, à l'Angleterre. J'ai appris sur tout ce que je ne connaissais pas et les parallèles avec un conflit que je connais mieux, celui du mouvement kurde avec la Turquie, n'ont pas tardé, n'ont pas manqué. Ce livre est humainement passionnant. Et pose mille questions auxquelles je n'ai toujours pas trouvé de réponse. Comment faire pour la minorité opprimée ? Comment doit-elle s'y prendre pour accéder à son autonomie, son indépendance, sa liberté ? Quels moyens, quels méthodes employer pour réaliser ses ambitions politiques ? le conflit armé ? Et quand celui-ci est, comment lui trouver des débouchés? Comment convaincre la majorité politique oppressante qu'elle doit entendre cette minorité qui ne parvient pas à se faire comprendre? Comment? Bref ce livre est passionnant.
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Les Troubles nord-irlandais, vous connaissez ?

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les tensions et affrontements se sont multipliés en Irlande du Nord : le tristement célèbre Bloody Sunday qui a fait plusieurs dizaines de morts civils en janvier 1972, les attentats à la bombe à Londres en 1973, les grèves de la faim dans la prison de Long Kesh qui ont tristement mené à la mort de plusieurs détenus dont le non moins célèbre Bobby Sands en 1981… des bombes en veux-tu en voilà, des règlements de compte et une escalade de la violence qui semblait ne pas pouvoir prendre fin.
Si le conflit est souvent grossièrement résumé en : catholiques nationalistes versus protestants loyalistes, la réalité des faits est bien plus complexe et intestine.

Cette enquête nous plonge dans les coulisses du conflit où aspects politiques, religieux et territoriaux s'entremêlent intimement.
La part britannique est assez faiblement présente ici (malgré les nombreux actes condamnables également perpétrés par les paramilitaires loyalistes et autres unionistes) ; l'auteur se concentre sur l'IRA et les complexités internes de l'organisation. Sacré morceau.

L'IRA (l'Armée Républicaine Irlandaise) a connu de nombreuses scissions au fil du XXe siècle. Celle qui est surtout mise en avant ici est celle de 1969 qui a mené à deux branches : l'IRA officielle et l'IRA provisoire.
Si la première semble vouloir mener une guerre plus politique quitte à faire des compromis avec le Royaume-Uni ; la seconde, constituée principalement de très jeunes activistes, ne jure que par le conflit armé et le terrorisme. C'est tout ou rien, la fin justifiant les moyens.

Patrick Radden Keefe nous présente plusieurs protagonistes, les principaux étant les soeurs Price, Gerry Adams et évidemment Jean McConville.
Jean McConville était une mère de 10 enfants vivant dans le quartier ouest de Belfast (quartier catholique). Originaire d'une famille protestante britannique, elle avait épousé un irlandais. Mais lorsque des soupçons de mouchardage et trahison sont apparus, elle était une coupable toute désignée. C'est ainsi qu'elle a été enlevée et assassinée par l'IRA provisoire en 1972. Sort réservé aux traîtres (cf le Mouchard de Liam O'Flaherty et Mon traître/Retour à Killybegs de Sorj Chalandon).
Les soeurs Price, alors qu'elles avaient à peine la vingtaine, ont participé à l'enlèvement de Jean McConville et semblent avoir été celles qui l'ont conduite en République d'Irlande, vers sa mort certaine.
Et Gerry Adams alors ? Connu pour avoir été président du Sinn Fein (parti politique de l'IRA provisoire) pendant de longues décennies (de 1983 à 2018), il est accusé (par Dolours Price, Brendan Hughes et d'autres anciens “soldats”) d'avoir commandité l'enlèvement et le meurtre de la mère de famille mais a toujours nié en bloc avoir participé d'une quelque façon que ce soit au conflit armé.

Les ossements de Jean McConville ont été retrouvés en 2003 mais la vérité reste enfouie.
Malgré les décennies, les crimes “de guerre” liés aux Troubles restent vifs dans les esprits. Les familles endeuillées sont nombreuses, le souvenir et la mémoire des disparus demeurent, les cicatrices ne sont toujours pas refermées.
Secrets de polichinelle. Tout le monde (ou presque) sait mais personne ne dit rien (ou presque). C'est la loi du silence.

A la lecture de cette enquête journalistique, il semble clair que Gerry Adams ait été impliqué dans des actions terribles.
Derrière le sourire, le charisme tranquille et le visage qui représente l'instigateur de la paix avec le Royaume-Uni (il est un des principaux artisans de la signature des accords du Vendredi Saint en 1998) se cache un homme énigmatique au passé sombre.
On peut regretter de ne pas avoir sa version des faits et donc de n'avoir qu'une seule face (sombre) à cette Histoire irlandaise mais lui-même refuse toute interview. Selon lui, Price et les autre soldats de l'IRA provisoire qui le dénoncent n'ont jamais accepté le compromis et le cheminement plus pacifique mis en place par le Sinn Fein et donc sa prise de position (son retournement de veste ?). Ils ont eu l'impression, eux, de s'être “mouillés”, portés par l'idée d'une Irlande réunifiée, d'avoir fait tout ça (tous ces morts) “pour rien” (l'Irlande est toujours coupée en deux en 2021) alors qu'Adams se faisait une place de choix au sommet.

Alors, Jean McConville a-t-elle véritablement trahi ? Des preuves semblent faire pencher la balance pour le oui, ses enfants ont toujours certifié que jamais elle n'aurait eu l'énergie/le temps/le tempérament pour cela.
Gerry Adams a-t-il véritablement commandité sa mort (et d'autres actions condamnables) ? La plupart des témoignages semblent éloquents mais tout n'est pas noir ou blanc dans cette Histoire irlandaise assurément complexe. Un homme opportuniste ? Sans aucun doute. Un stratège ? de toute évidence. Un terroriste ? Les anti diront évidemment. L'artisan de la paix ? Les pro le certifieront.
Chaque lecteur se fera son propre avis. En tout cas, Gerry Adams est un homme complexe ; tous s'accordent là dessus.

500 pages pendant lesquelles on navigue d'un acteur à l'autre, comprenant leurs convictions et leurs agissements. Impardonnables pour la plupart mais “compréhensibles” quand on creuse le passé de chacun.

C'est une enquête journalistique passionnante. Révoltante à bien des moments, émouvante à d'autres. J'ai beaucoup réfléchi, j'ai pris conscience de certaines choses (je n'avais eu jusque là qu'un discours très positif de Gerry Adams alors qu'il est clair que tout n'est pas tout blanc), j'ai été remuée… Bref, j'ai adoré.
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Pourquoi cette mère de famille a été enlevée en 1972 ? Elle qui n'avait fait que faire des enfants et vivre lors de cette période de troubles ?
A-t-elle trahi un camp, à l'occurrence l'IRA ?
50 ans après les faits, l'auteur, journaliste aux USA, reprend l'affaire, recueille des témoignages, et nous livre les pistes, les interrogations et les arcanes de cette affaire qui a empoisonné l'Irlande du Nord, notamment le côté catholique, depuis lors !
Entre reportage, enquête, et retour en arrière dans une époque et un lieu dont les plaies sont toujours vives, l'auteur nous livre la vie de cette femme, des ramifications, des interrogations, des non-dits qui bouleversent des vies.
Pour ceux qui ne connaissent que très peu sur cette période, ces lieux, cette guerre civile et un peu religieuse, Ne Dis Rien est un émouvant témoignage qui ne peut que toucher au coeur et à l'âme.
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Il m'aura fallu de nombreuses semaines avant de pouvoir enfin poser quelques mots sur Ne dis rien du journaliste d'investigation américain Patrick Radden Keefe (1976). Cette excellente enquête, très instructive et absolument passionnante, fera date dans ma vie de lectrice tout comme ce fut le cas il y a dix ans avec la biographie Bobby Sands. Jusqu'au bout (2011) de Denis O'Hearn.

Ne dis rien. Meurtre et mémoire en Irlande du Nord (2020) est une enquête journalistique d'une grande précision et richesse historiques ayant nécessité un travail de recherches documentaires considérable ainsi que de nombreux séjours en Irlande du Nord. Pendant quatre ans, Patrick Radden Keefe a mené des entretiens avec plus d'une centaine de personnes et consulté d'innombrables archives écrites et orales.

Si le journaliste américain dresse un tableau original et très fouillé du conflit nord-irlandais, il n'est bien évidemment pas exhaustif, d'autant plus qu'il a choisi de passer sous silence le point de vue des unionistes et loyalistes (des unionistes zélés souvent « plus Anglais que les Anglais eux-mêmes ») pour privilégier celui des républicains. Mais bien que son livre présente une vision unilatérale du conflit, il ne fait pas preuve de manichéisme pour autant. Il rappelle d'ailleurs que l'histoire des Troubles -un bel euphémisme pour désigner ce qui fut en réalité une longue lutte armée visant à se libérer de la domination britannique- est très controversée et souvent orientée par des partis pris idéologiques. Il reconnaît ainsi que certains des épisodes évoqués dans son livre font l'objet de polémiques et d'interprétations divergentes.

En se positionnant du côté des républicains et en privilégiant une approche de journalisme narratif, c'est-à-dire une approche dans laquelle aucun dialogue ni détail n'a été inventé ni imaginé et dans laquelle toutes les pensées des protagonistes lui ont été directement ou indirectement rapportées-, il nous plonge au coeur même de la violence politique, au plus près de celles et ceux qui ont vécu et subi cette violence pendant trois décennies, qu'ils soient membres de l'IRA ou simples citoyens.

Ne dis rien jette un éclairage nouveau et original sur le conflit nord-irlandais en prenant comme point de départ la mystérieuse disparition, un soir de 1972 au plus fort des Troubles, de Jean McConville, une veuve de trente huit ans et mère de dix enfants. A partir de là, Patrick Radden Keefe remonte le temps en alternant d'une part entre l'histoire, le rôle et le fonctionnement de l'IRA et d'autre part la vie de Jean McConville avant et après son enlèvement ainsi que les conséquences désastreuses de sa disparition sur la vie de ses dix enfants.

En parallèle, il s'intéresse de près à deux femmes figurant parmi les plus importantes militantes et combattantes de l'IRA: Dolours Price (1951-2013) et sa soeur Marian (1954), aka les Soeurs Terreur comme elles furent surnommées après l'attentat à la voiture piégée qui a fait plus de deux cent blessés à Londres en 1973. Il évoque en détails leur vie, leurs convictions, la puissance de leur engagement idéologique et politique et montre comment elles sont devenues des étudiantes militantes, des membres de la brigade des Inconnus, des prisonnières et enfin des grévistes de la faim.

En se servant de la vie et de la disparition tragique de Jean McConville comme d'un fil rouge pour dérouler l'histoire des Troubles, Patrick Radden Keefe nous plonge dans cette période d'extrême violence qui a déchiré l'Irlande du Nord pendant trente ans: depuis la bataille du Bogside en 1969 -une marche pacifique pour les droits civiques qui s'est terminée en bain de sang et a marqué le début des Troubles- jusqu'à la signature de l'Accord du Vendredi Saint en 1998 qui a officiellement mis fin au conflit, en passant par le Bloody Sunday, les attentats, l'incarcération de certaines figures centrales de l'IRA ainsi que leurs grèves de la faim.

Il pose les fondations en rappelant brièvement les origines du conflit: l'insurrection de Pâques en 1916, la Guerre d'Indépendance irlandaise (1919-1921), le Traité anglo-irlandais de décembre 1921 puis la Guerre civile (1922-1923) qui entérine la partition de l'Irlande prévue par le Traité. Alors que la République libre d'Irlande compte désormais vingt six comtés à majorité catholique, six comtés du Nord à majorité protestante décident de rester sous contrôle britannique. C'est à ce moment-là que se cristallise l'opposition entre les républicains (nationalistes, principalement catholiques) qui sont majoritaires dans la République mais minoritaires en Irlande du Nord et les unionistes et loyalistes (principalement protestants) qui sont minoritaires dans la République mais majoritaires en Irlande du Nord.

C'est à la suite de la bataille du Bogside en 1969 que l'IRA, organisation paramilitaire illégale existant depuis 1922, se scinde en deux entités distinctes: l'IRA officielle (les Stickies) privilégiant l'action politique et l'IRA provisoire (les Provos) insistant sur la nécessité de mener des actions armées pour mettre fin à la domination britannique en Irlande du Nord et « créer une République irlandaise unie sur l'ensemble de l'île où les droits civiques et la liberté religieuse seront garantis pour tous. »

Ne dis rien est un document extrêmement intéressant qui nous plonge au coeur du fonctionnement, des revendications et des actions de l'IRA et de son pendant politique, le Sinn Féin. S'il s'intéresse de très près à certaines grandes figures de l'IRA, telles que Brendan Hughes, Dolours Price ou encore le charismatique Gerry Adams -qui se révèle être un personnage très ambivalent- Patrick Radden Keefe nous montre également ce qu'était la vie quotidienne à l'époque des Troubles. Il raconte ainsi la ségrégation historique, les frontières communautaires, la discrimination sociale, économique et politique dont les catholiques ont longtemps fait les frais, les traumatismes et la radicalisation d'une jeunesse sacrifiée.

Il soulève par ailleurs de nombreuses questions très intéressantes et pertinentes sur les notions de pouvoir, d'autoritarisme et de résistance. Quant à la violence, elle se présente presque systématiquement comme étant légitime lorsqu'elle est exercée par l'Etat et illégitime lorsqu'elle est le fait des contestataires. Rappelons ici l'intransigeance froide et cruelle dont a fait preuve Margaret Thatcher à l'encontre des grévistes de la faim de Long Kesh ainsi que son tristement célèbre « Un crime est un crime et seulement un crime ».

Si le conflit s'est officiellement achevé en 1998 avec l'Accord du Vendredi Saint, la société nord-irlandaise est aujourd'hui toujours divisée. Quant à la question toujours sensible de l'avenir de l'Irlande du Nord, elle a été remise à l'ordre du jour avec le Brexit…

Ne dis rien fait partie de ces livres qui vous engagent, qui vous marquent et vous hantent longtemps. Ne passez surtout pas à côté si le sujet vous intéresse! Pour ma part, vous l'aurez compris, ce fut un énorme coup de coeur…


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J'avais aperçu une critique de ce bouquin dans je ne sais quelle revue (probablement Télérama). Critique que je n'avais que survolée, je déteste qu'on me raconte un livre que je vais lire, mais le titre avait retenu mon attention. Je suis passionné par l'Irlande et entre autres par les « Troubles » comme ils furent pudiquement qualifiés dans les années 70, lorsqu'on ne parlait pas de guerre. Un peu comme en France on avait parlé des « évènements d'Algérie » pour ne pas avoir à parler de guerre. Sur bien des points, les deux guerres sont comparables, ce sont des guerres d'émancipation coloniale. L'Irlande fut partagée en deux après la guerre d'indépendance en 1921 et, en isolant 6 comtés sur 9 de l'Ulster dans le nord de l'Irlande, les britanniques semaient le ferment de guerres à venir. Elles n'ont pas manqué d'apparaître tout au long du siècle qui a suivi. Je pensais avoir affaire à un roman, mais il s'agit d'un travail journalistique proche d'un travail d'historien. Il a coûté 4 ou 5 années de recherches, d'interviews, de rencontres, de lecture d'archives à Patrick Radden Keefe pour écrire ce gros livre (une « somme » !) Si l'on ne peut être exhaustif avec un ensemble d'évènements historiques aussi récents et pour beaucoup encore en cours (là encore, regardons ce qui se passe avec la mémoire de la guerre d'Algérie, pour laquelle on a pas fini de « faire la paix » si j'ose dire) mais cette « histoire racontée par Patrick Radden Keefe balaie largement l'époque moderne. Époque dont on peut dire qu'elle commence par la manifestation d'étudiants organisée entre autres par People's democracy en 1969. Manifestation pacifique pour « les droits civiques » d'étudiants catholiques, une marche de Belfast à Derry et qui se termina par un guet-apens au pont de Burntollet, embuscade de militants unionistes (protestants, donc) armés de pierres, de barres de fer et de toutes sortes d'armes, sans que jamais la police n'intervînt ou peut-être même avec la complicité de la police (elle-même essentiellement composée de protestants). Beaucoup de blessés et forcément beaucoup de haine. La haine engendre la haine. de l'IRA historique (dit les « stikies » car contrairement aux « provos » qui épinglaient leur « Lys de Pâques, le collait à leur boutonnière quant à eux), de l'IRA provisoire (les « provos ») et même de l'IRA véritable. Des bombes d'Old Bailey au Parlement Nord-irlandais Des meurtres aux grèves de la faim des prisonniers du « Bloody Sunday » au « Bloody Friday » de la loi du silence au « projet Belfast » Des combattants aux politiques de Ian Paisley à Gerry Adams Des murs qui séparent encore aujourd'hui Belfast entre quartiers Ouest à dominante catholique et quartiers Est à dominante protestante. Des questions qui se posaient alors (et se posent aussi aujourd'hui chez nous) quant à la « violence légitime » d'un Etat par rapport à celle illégitime des contestataires du régime. de Jean McConville à Dolours Price. Car ces deux personnages sont en quelque sorte le fil rouge de ce livre. Jean McConville, une mère d'origine protestante née dans le Belfast Est, veuve d'Arthur, d'origine catholique, vivant avec ses dix enfants dans Belfast Ouest, enlevée en 1972 devant ses enfants et dans le désert d'une barre d'immeuble surpeuplée, d'où personne ne sort de son appartement pour ne pas avoir à voir. Dolours Price (et sa soeur Marian, filles de Chrissie et Albert tous deux ex-membres de l'IRA historique), qui avait participé à la marche pacifique de 1969 et s'était ensuite radicalisée, comme on dit aujourd'hui, en s'engageant dans l'IRA tendance « provos » sous la direction de Gerry Adams, Brendan Hughes, Pat McClure. Membre d'une brigade, dite « des inconnus », qui enlève et tue Jean McConville, coupable d'espionnage, comme le conclut un jugement dont Jerry Adams chef de l'IRA confie l'exécution de la sentence à la brigade des inconnus. Gerry Adams qui niera par la suite avoir appartenu à l'IRA pour négocier les accords du « Vendredi Saint » qui mirent fin aux « Troubles » et poursuivre une carrière politique de dirigeant du Sinn Fein. David Ireland dans sa pièce « Cyprus Avenue » fera dire à l'un des personnages (Eric Miller, interprété lors de la « première » par Stephen Rea – par ailleurs ex-mari de Dolours – cela ne s'invente pas) à propos de Gerry Adams : « La barbe de Gerry Adams fait partie intégrante du personnage. Elle symbolise son ardeur révolutionnaire, sa passion pour le changement constitutionnel. Et maintenant qu'elle blanchit, elle cimente son statut d'éminence grise, de roi philosophe vieillissant ». Voilà ce livre m'a passionné et j'ai tant appris ! Pour conclure ce texte et vous donner, peut-être, envie de le lire, j'ajouterai cette citation de Claude Levi Strauss (citée par Patrick Radden Keefe) qui situe bien les raisons qui poussent des communautés à s'affronter : « …Pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, la notion d'humanité englobant toutes les formes de l'espèce humaine apparaît totalement absente. L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village. »
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Je suis ravie d'avoir lu ce roman que je n'aurais sûrement (et malheureusement ) pas pensé à acheter. En effet, j'ai appris énormément grâce à cet ouvrage très bien écrit et surtout véridique. Avec une écriture
accrocheuse, l'auteur nous plonge au coeur d'une Irlande du Nord totalement déchirée, en guerre. J'ai halluciné en lisant tout ce qui s'y est déroulé, j'ai appris beaucoup sur ces conflits et notamment sur l'IRA dont je n'avais jamais entendu parler.

L'histoire débute avec la famille McConville dont la mère a été enlevée. Mais loin de nous arrêter ici, nous plongeons dans des années meurtrières et terribles pour l'Irlande du Nord. Des années où aller faire les courses pouvait vous tuer. Des années qui selon moi ne sont pas assez connues. J'ai vraiment apprécié le fait que l'auteur nous parle de chaque personnes importantes dans cette guerre civile.
J'ai ainsi appris à connaître Gerry Adams, les soeurs Price, Brendan Hughes... Bref, je ne peux que vous conseiller de le lire ne serait ce que pour votre culture générale.
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Nous avons retrouve Lapierre et Colllins ! ce recit emportant du conflit nord irlandais, sauvage a de nombreux titres, s'organise sans relache au fil du destin d'une dizaine de personnages clefs de la période, dans un contexte souffrant et bouleversant. Les rebondissements nous captivent - tiens nous etions temoins de cette epoque...- tandis que la grande finesse d'analyse nous invite a prendre distnce , hauteur et surtout comprehension. du grand Lapierre et Collins vous disais je !
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