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Critique de dourvach


Comment relater notre émerveillement à la découverte de ce fier roman composé dans une soupente parisienne, en 9 mois — de janvier à octobre 1906 — et publié pour la première fois à "La Semaine littéraire" de Genève (en "pré-originale", chapitre par chapitre et en quatre mois — de fin décembre 1906 à avril 1907) puis en coédition entre les éditeurs Payot (à Lausanne) et Perrin (à Paris) en mai 1907 ?

Emile Magnenat est un brave bourgeois de notaire. "Pas très fute-fute", comme on dirait aujourd'hui... Il aime sincèrement sa fiancée - jeune fille issue d'un "excellent milieu", et dont ses propres parents pensent évidemment le plus grand bien : Hélène deviendra donc sa femme. La pauvre, cependant, tombe peu à peu malade, de plus en plus malade... et — une cause de désespoir en plus pour lui ! — ne lui laissera pas d'enfant... Pendant ce temps, dans les affres d'une affliction bien authentique, l'époux de la pauvre Hélène s'entiche de Frieda, leur "fille-au-pair" alémanique malencontreusement embauchée quelques mois plus tôt "en vue d'aider" l'épouse à l'ensemble de ses tâches domestiques : un émoi réciproque entre Emile et Frieda aura lieu au cours d'un bal "des bords du Lac", bal qui finira sous l'orage. Hélène meurt quelque temps après. Scandale à Arsens (dont le modèle serait la petite ville lacustre d'Aubonne)... Emile Magnenat doit déménager ses pénates — et fermer son étude — en emmenant Frieda (par qui le scandale est arrivé) en chemin de fer à "la grande ville" (heum... évidemment pour lui et toutes proportions gardées) : Lausanne ! Mais Frieda est une sacrée roublarde : c'est qu'elle ne veut plus bosser - surtout à des travaux de domesticité — et se laisse entretenir, devenant une Mme Magnenat "naturellement" très dépensière... Pensant bien faire, Emile "rame" tout ce temps pour tenter de faire face à "sa nouvelle vie"... Frieda, bien sûr, s'en contrefiche et se trouve un amant... Que va devenir notre pauvre Emile ?

Voici tout l'argument. :-)

Un très beau drame existentialiste, tout en finesse et "ironie bienveillante"... nous offrant un très bon parallèle lacustre avec les deux premiers romans de Robert WALSER !

Car il y a tant d'éclairs poétiques dans cette oeuvre au joli "ton" flaubertien, qu'on peut la rapprocher de l'ambiance à la fois lyrique et dérisoire des six mois d' "inactions" quotidiennes du second roman quasi-contemporain de R. WALSER : "Le Commis" ("Der Gehülfe", écrit en quelques semaines et publié à Berlin en 1908) : "Monsieur l'ingénieur Tobler", l'inventeur irréaliste qui met peu à peu — en pure inconscience — toute sa famille en difficulté... Emile Magnenat, lui aussi, va au suicide social et ne le sait pas : le lecteur le sait et compatit, tout comme "le Commis" engagé par l'ingénieur petit-bourgeois observera — tel un enfant — les (somptueuses) grandeurs puis la (prévisible) décadence de la petite famille Tobler de la belle Villa des bords du Lac...

Quand Emile se réveille, pour lui aussi il est trop tard : comme un enfant, il se sent "bien puni"...

Il y a de la compassion chez Ramuz pour la victime de cette lente déchéance sociale... ou, comme chez Walser, plutôt une belle empathie !

Il y a l'écriture impressionniste de Ramuz... qui "peint" les mots comme il respire : avec ses "mots-matière" que lui seul sait assembler comme s'ils étaient surpris pour la première fois dans une phrase.

Ce deuxième roman (après "Aline", publié en 1905) avait été sélectionné dans la liste des prix Goncourt : un certain Émile Moselly en fut le lauréat pour son roman "Terres lorraines"...

Ramuz "marnait" seul dans ses meublés parisiens où il restera bravement jusqu'en 1914 : l'année où il reviendra — cinq romans plus tard — à son cher "Pays vaudois" natal (cette Suisse romande francophone "d'autour du Lac") qu'il décide de ne plus quitter...

Petit chef d'oeuvre dense à découvrir : vrai régal de l'âme et de l'esprit.
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