Citations sur L'instant d'après (37)
les souvenirs sont comme de petites rigoles d'eau qui coulent sur la pierre . plus on les ressasse , plus les rigoles s’élargissent , et les souvenirs se gravent dans l'esprit a jamais.
Elle adore imaginer la vie secrète des gens, et c’est la même curiosité qui l’incite à observer les voyageurs dans le train : elle adore imaginer leur vie à partir de petits détails, rassembler tous les indices pour recréer leur identité. C’est aussi ce qui la passionne dans son travail : elle aime aller au fond de tout ce qui est compliqué, voire tragique, destructeur, chez les jeunes à la dérive.
Mais ce qui a décidé Karen à choisir ce magasin, c'est le reste de la décoration:
des coquillages de toutes les formes et de toutes les tailles, des étoiles de mer géantes et des galets multicolores usés par la mer, éparpillés dans la vitrine.
Dans la lumière froide du jour, ce n’est qu’un petit boui-boui sombre… mais dans cette soirée de juillet magique, le monde est baigné dans une lumière chaude et parfumée, et le soleil couchant transforme tout ce qu’il touche, même cette petite échoppe de rien du tout, qui tout à coup devient une caverne d’Ali Baba. À l’intérieur, ils trouvent un assortiment de mets délicats et exotiques, une corne d’abondance de délices rares : houmous, tarama, olives, feuilles de vignes farcies, pita… tout un choix de friandises qui, bien entendu, auront le goût du fruit défendu.
Mais chez elle, le rouge et le noir, le gris et le violet n’expriment rien d’autre que l’enfer. Il lui semble que sa culpabilité est enracinée si profondément qu’elle ne peut l’arracher. Il y a un trou béant dans sa poitrine, comme après un séisme ou un bombardement, et les dégâts sont irréparables. Mais il y a pire : elle a l’impression qu’on a scié son crâne en deux et versé de l’acide directement sur les nerfs et la matière grise.
Mais elle apprend à vivre autrement, dans ce monde où Simon n'est plus. C'est comme si elle se reconstruisait ailleurs, d'abord en déterrant son chagrin, pierre par pierre, pour refaire les fondations. Autant par instinct que par volonté, elle cherche et finit par trouver tout ce qui peut lui donner du réconfort, comme une fleur à la recherche du soleil, elle va continuer son chemin.
Dans l'atmosphère humide de la salle de bains, elle ne sait plus ou commence la condensation et où finissent les larmes.
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande Anna.
– Il a eu une crise cardiaque, répond la femme.
– Il est mort, vous croyez ?
– J’en ai bien peur.
– Oh mon Dieu !
– Je sais, c’est terrible. Il voyageait avec sa femme.
– Vous avez tout vu ?
– J’étais assise à côté d’eux, dans la contre-allée.
– Ç’a dû être horrible, vous devez être sous le choc.
– Oui, en convient la femme.
Anna se maudit : Et dire que je me plaignais du désagrément… La gothique avait sûrement raison. C’est si grave que ça, d’être en retard au boulot ? Franchement, c’est pas comme ça que j’aimerais partir. Je préférerais mourir en faisant du cerf-volant avec mes petits-enfants ou pendant une super fête, mais certainement pas dans le train aux heures de pointe.
Ce n’est pas seulement de la fascination morbide, mais de la stupeur, l’incapacité de comprendre ce qui se passe.
Pour Lou, la vue des passagers qui détournent la tête quand deux hommes hissent une civière au-dessus des sièges est presque un sketch. La civière a une forme bizarre, même sans la croix rouge – plus grande qu’une valise, sans les roulettes –, et la scène est irréelle, comme dans une série télé. Sauf qu’on peut éteindre la télé si on n’a pas envie de regarder… mais comment ne pas voir, quand ça se passe juste devant vous ?