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Citations sur Revenir à toi (149)

Il lui sourit, prenez votre temps. Il remarque deux petites auréoles
sombres de transpiration qui tachent le chemisier blanc sous les aisselles.
Elle a dû courir. Il aimerait savoir où elle va et pourquoi. Tous ces gens, qui
se déplacent d’un endroit à l’autre de la France, des milliers de visages
joyeux, mornes ou tristes dont il ne sait rien. Mais elle, où va-t-elle avec sa
respiration trop haute, sa beauté narcotique et cette insouciance lasse ?
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Grand-mère Marcelle avait d’abord rechigné, puis accepté. Elle avait
sermonné son fils, je te l’avais bien dit, ça fait des années que je sais que ça
va finir comme ça… je l’ai connue bien avant toi, Apollonia. Quand je l’ai
vue arriver comme nouvelle institutrice à l’école, quelque chose clochait.
Elle était toujours trop exaltée ou trop fragile, ça ne tournait pas rond dans
sa tête… Tu te souviens comme je t’ai prévenu ? Non, pas seulement sur
votre différence d’âge, je t’avais dit, regarde comme elle se précipite tout le
temps, le corps en avant. Tu te souviens ? Tu ne m’as pas écoutée, tu n’en
as fait qu’à ta tête, et vous en êtes là aujourd’hui…
Elle pouvait parler des heures sans s’arrêter, sans respirer, grand-mère
Marcelle, jamais à court d’arguments. Ça vous coupait le souffle.
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Maman est partie.
Magdalena pensait qu’elle avait dû se dissoudre. Et à force de se
dissoudre, il n’était rien resté, juste un petit tas de poussière que grand-mère
Marcelle allait aussitôt balayer. D’un geste souverain, Marcelle ferait place
nette avec son balai en paille, aux épis maintenus par des filins bleu et
rouge.
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La neige. Le regard d’Apollonia s’était perdu dans la neige. La neige
et le froid lorsque, enfant, elle s’était recroquevillée dedans, les habits
trempés. Dans la mémoire d’Apollonia, un millier de trous, dans son
cerveau aussi. Des trous d’air pour que l’histoire file, pour faire la place
belle à l’oubli. Un grand blanc. La peur. Cette neige-là ne fondait pas. Dans
son petit lit chez ses parents au village, ça lui revenait, les pieds gelés sous
l’édredon, les pieds gelés par le froid, la neige et la peur. Ça revenait dans
ses godasses sans crier gare, ça mouillait ses chaussettes ou bien ça se
cachait au fond de ses poches alors qu’on était en plein été. Le rythme des
apparitions de la neige était incontrôlable et la prenait toujours au dépourvu.
Ses souvenirs faisaient ce qu’ils voulaient. Parfois, ils disparaissaient,
parfois ils l’étouffaient
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Elle se souvient du jour où son père, Isidore, lui avait dit : maman est
partie.
Une phrase simple, sujet verbe participe passé. Une phrase tout à fait
intelligible. Magdalena la comprenait, mais la trouvait trop courte. Il lui
manquait au moins un complément de lieu, ainsi que plusieurs paragraphes
d’explications. Une maman ne part pas comme ça. Le ton de son père était à
la fois désinvolte et ferme. Il esquivait, il n’y avait ni pharmacie, ni
boulangerie, ni même une autre ville. Il y avait un espace long et
indéterminé pour une durée distendue.
Maman est partie.
Elle se souvient d’avoir hoché la tête en signe de compréhension et de
soumission. D’impuissance aussi. Que pouvait-elle faire avec ses petits
bras, ses petites jambes, son petit corps de rien du tout ? Du haut de ses
quatorze ans, Magdalena avait la conscience de n’être rien. Les années
précédentes l’en avaient convaincue, ballottée par les humeurs des adultes,
leurs mouvements imprévisibles, le regard confus de sa mère à force de
médicaments, vides les jours derniers.
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Elle se souvient d’une boîte carrée recouverte d’une peau brune de
serpent, ses jointures dorées, le bruit sec de la fermeture, la poudre libre et
rose clair maintenue sous un fin grillage. Recouvrant ce maillage en fer, il y
a une houppette en tissu à la texture fragile et moelleuse, tachée en son
centre par l’imprégnation répétée de poudre. Cette poudre posée sur la joue
de sa mère.
Le poudrier s’ouvre et se referme dans un pli de la mémoire de
Magdalena.
Et ça lui revient d’un coup. À ce moment précis, ça lui explose au
visage, ça crève ses sens, ça donne un coup d’arrêt au fil de ses pensées.
Comme le souffle d’une explosion : le parfum de la poudre de sa mère.
Les larmes surgissent.
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Elle continue de se regarder, passe la main dans ses cheveux pour
peigner les boucles brunes qui se sont emmêlées. Boucles noires de jais,
peau diaphane blanche, on lui a toujours dit ta peau de lait, pommettes
hautes, nez droit, long, bouche charnue, lèvre supérieure saillante, et ses
yeux vert très pâle qui changent suivant les mouvements des nuages, la
densité du ciel, la pluie, l’orage, les embardées de bleu. Sa beauté. On lui
dit toujours, Magda, ta beauté.
Quoi, ma beauté ?
Et souvent l’interlocuteur n’ajoute rien, ou bien la compare à des
actrices américaines des années 50, beautés sophistiquées, beautés amples,
seins-fesses-jambes. Ces comparaisons laissent Magdalena indifférente.
Elle ne voit rien d’elle dans ces femmes-là. Magdalena ne voit rien d’elle en
général.
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La voix lui dit quelque chose qu’elle ne comprend pas.
Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes, Adèle ?
Et Adèle répète plus lentement : Magda, on a retrouvé ta mère.
Magdalena raccroche, range le téléphone.
Cet appel n’a pas existé. Rien à entendre, rien à comprendre, mais il
provoque une fissure dans ses pensées. Fissure aussi fine que l’incision
dans son cou. Elle la sent, elle a peur du flot de souvenirs qui pourrait
surgir. Un suintement qui finirait par tout emporter. Emporté, le château
construit depuis l’enfance. Goutte après goutte, l’édifice s’effondrerait sur
lui-même, noyant sa volonté farouche, arrachant les tuteurs et laissant les
mortiers dissous.
La houle est profonde.
Combien d’années pour s’interroger sur l’absence, s’y soumettre, s’y
conformer, raison faite ? Elle ne veut pas compter. Compter, c’est
commencer de donner chair aux souvenirs, c’est croire que ce coup de fil a
eu lieu.
Un grain de beauté en moins, elle en était là, juste là, pas plus loin.
Son portable vibre encore et encore dans son sac. La fissure s’étend
dans son cerveau.
Elle s’empare du téléphone. Cinq appels en absence. Adèle.
Personne ne peut lui parler de sa mère. Personne n’en a le droit parce
que nul n’a su lui expliquer. Et si des réponses existaient bel et bien, ce
serait trop tard.
Trente ans.
Pourquoi faire semblant ? Magdalena a compté chaque jour, des petits
bâtons les uns à côté des autres dans sa tête, une foule en désordre.
Elle envoie un SMS à Adèle : Où ça ?
Maison éclusière à Calonges sur le canal latéral, Lot-et-Garonne.
Un pas devant l’autre sur le trottoir parisien, Magdalena est en route, à
pied, en train, en bateau, s’il le faut.
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La nuit est profonde, substance marine mêlée de noir, qui noie les étoiles à cette heure-ci. Ciel d'encre, lune absente. Jordan est avalé tout entier par l'obscurité qui le saisit au sortir de la tente.
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