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Critique de colimasson


Disposez-vous d'une quantité d'énergie d'orgone suffisante pour permettre à vos corps et esprit de s'épanouir selon tout leur potentiel ? S'il est difficile de répondre à cette question, la raison en est que la théorie de l'orgone de Wilhelm Reich a eu beaucoup de mal à s'imposer dès les années 30. Décrédibilisée de part et d'autre, tournée au ridicule par ceux qui ne voyaient là qu'une manière aisée mais grotesque de rassembler des paumés crédules sous l'égide de médecins-gourous, la théorie de l'orgone s'est perdue au fil des décennies, réapparaissant parfois, par hasard, par le biais –par exemple- d'un livre au titre intrigant : Ecoute, petit homme !

Dans ce livre, Wilhelm Reich considère comme acquises les bases de la théorie de l'orgone. Il ne l'évoquera qu'une fois dans les premières pages, mais on sent que sa connaissance est nécessaire à la compréhension de tout le reste du texte. Sans se renseigner particulièrement, on pourra comprendre, à travers les propos du psychiatre-psychanalyste, que cette orgone est une énergie qui émane du corps et dont l'intensité est partie liée avec les émotions de l'individu. Elle se régule en fonction de son comportement, et peut aussi bien être libératrice que restrictive. Reich accuse sa mauvaise gestion d'être notamment à l'origine de l'émergence des totalitarismes du 20e siècle –Hitler en tête- et du développement massif des cancers dans les populations modernes. D'une manière plus générale, elle serait la cause de toutes les mesquineries qui régissent habituellement la vie du peuple –mensonges, adultères, humiliations, égoïsme, alcoolisme…

Comme s'il était bien au-dessus de tout ça, Reich interpelle le « petit homme » pour lui faire prendre conscience de l'insanité de son comportement. Il n'y va pas de main morte et s'il s'exprime en psychiatre et psychanalyste aguerri, on ne peut pas dire qu'il modère ses propos en psychologue consciencieux. Bien qu'il commence prudemment en faisant passer le petit homme pour une victime des autres petits hommes devenus puissants à cause de lui (les dictateurs du 20e siècle fournissent un bon exemple de cette dernière catégorie), son ton se fait de plus en plus tranchant au fil des pages et vire presque à l'insulte gratuite, posée sur des préjugés qui ne relèvent que d'une certaine appréciation :

« Tu aimes citer le « Faust » de Goethe, mais tu n'y comprends pas plus qu'un chat aux math' élém'. Tu es stupide et vaniteux, ignorant et simiesque, petit homme ! »

Alors, le petit homme devrait retourner à l'école ? Sauter d'un pont et débarrasser le plancher pour laisser aux « grands hommes » la possibilité de créer un monde enfin digne ? Ou se plier aux recommandations de Reich et reconnaître enfin la valeur de sa théorie de l'orgone ? Dans de nombreux passages, on sent que la déception de ce dernier est grande devant le fait que sa théorie n'ait pas eu le succès qu'il espérait. Mais Reich n'en démord pas : il a raison contre tous.

« J'ai fondé une science nouvelle qui a abouti à la compréhension de la vie. Tu y recourras dans dix, cent ou mille ans, quand –après avoir gobé toutes sortes de doctrines- tu seras au bout de ton rouleau. »

Dommage qu'il s'acharne avec autant de fureur à tenter de prouver la supériorité de sa pensée sur celle des autres. La théorie de l'orgone propose des réflexions intéressantes : si les hommes se causent tant de mal, c'est en raison d'une libido frustrée qui les a conduits à créer des relations malsaines et à se comporter d'une manière individualiste et opportuniste. En niant cette facette pourtant essentielle de la sexualité –Reich n'y voit là que de la pudeur-, ils écartent en même temps les moyens de lutter à bras le corps contre le problème. On comprend alors que la lutte de Reich est aussi une lutte contre l'hypocrisie, et je reconnais beaucoup de justesse au fond de sa pensée. Mais quant à sa forme… Est-ce en dénigrant le petit homme qu'on lui permettra de devenir grand ? Est-ce en simplifiant la description du monde –d'un côté les petits hommes, d'un côté les « savants » et « intellectuels » dont Reich fait bien sûr partie- qu'on lui permettra de développer une vision plus lucide ? Et surtout, pourquoi Reich n'arrête-t-il pas de faire son propre éloge ? Tient-il vraiment à aider le « petit homme » ? A moins qu'il ne préfère tout simplement redorer son blason un peu détérioré par les controverses qu'a suscitée sa théorie de l'orgone…

Les dessins qui ponctuent le livre illustrent de manière simplifiée les grandes lignes du propos de Reich : « Tu n'es qu'un petit homme ! », « Tu es ton propre persécuteur », « Esclave de n'importe qui », « Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité »… Ils permettent de rendre le propos accessible même aux illettrés, et reposent les neurones entre la lecture de deux paragraphes qui auraient pu causer une migraine au petit homme que la lecture n'enchante pas.

Dommage que Reich, par sa prétention et son mépris affiché, fasse perdre à son propos toute sa valeur. Outre cette proposition originale de la cause du malheur des hommes, une autre des grandes innovations apportées par ce livre me semble être la reconnaissance de la responsabilité de chacun en ce qui concerne sa sphère individuelle mais aussi en ce qui concerne la politique ou les relations sociales.

En ordonnant au petit homme de se libérer de toute influence extérieure, Wilhelm Reich adopte une position paradoxale. D'accord pour écouter ce qu'il a à nous dire, à condition d'en oublier la moitié une fois le pamphlet refermé…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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