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Critique de Carolina78


En ouvrant Sarah, Susanne et l'écrivain, je me suis dit comme c'est agréable de lire un livre sans chichis qui parle de nous, dans un langage simple.

« Sarah lui demanda comment il imaginait Susanne Stadler, puisque c'était le nom qu'il avait choisi. Qui est cette femme, finalement ? lui demanda-t-elle ». (Incipit)

Le début est prometteur sauf qu'après ça traine en longueur. Je suis sur le point de refermer le livre quand un rebondissement inattendu surgit, et puis la narration, à nouveau, traine en longueur avant un nouveau rebondissement et la chute finale majestueuse.

Ce style trainant apparait comme nécessaire pour nous mettre dans l'ambiance, pour que subrepticement on se rende compte comment une situation banale peut dériver vers une situation surréaliste, où on va perdre pied, on ne saura plus qui est Susanne, qui est l'écrivain, qui est Sarah. En même temps que les personnages, le lecteur va s'enliser dans un no man's land aux conséquences dramatiques.

Sarah a quarante-quatre ans. Elle contacte par Facebook un écrivain, sans grand espoir, pour lui demander de raconter son histoire. A sa grande surprise, l'écrivain lui répond qu'il est d'accord.

Sarah est représentée par Susanne Sonneur, mariée au Comte de Manerville (son prénom n'est pas précisé), mère de Paloma (21ans) et Luigi (17ans) – prénoms d'emprunt -. Son domicile est un appartement cossu, place du Président-Wilson à Dijon (c'est l'écrivain qui a choisi la ville).

Dans le premier chapitre, l'écrivain plante le décor. C'est une famille bourgeoise, visiblement heureuse, qui s'apprête à acheter une maison sauf que Sarah développe un cancer du sein et tout va être chamboulé.

Le roman va se construire sous nos yeux avec le témoignage de Sarah, l'adaptation de l'écrivain qui transpose Sarah en Susanne, en consultant souvent l'intéressée pour lui demander son accord. Nous assistons non seulement à leurs conversations mais aussi à leurs pensées.

À partir de l'histoire d'une femme bourgeoise ordinaire, Sarah, qui pêche par excès de naïveté, et qui probablement sans l'élément déclencheur du cancer ne se serait jamais aperçue du cynisme de son mari, l'écrivain va créer Susanne, le double.

C'est un ménage à trois romanesque, un écrivain oscille entre son modèle réel et son personnage, et les trois entités se diluent dans un faisceau thématique qui questionne la notion de réalité, qui représente la fiction et ses projections, à travers l'art, les choix existentiels, les aléas de la vie… Sarah est architecte et artiste plasticienne. Susanne est généalogiste et écrivaine malheureuse. Susanne, contrairement à Sarah ose affronter son mari. Sarah, Susanne et l'écrivain ont tous les trois eu la possibilité dans le passé de modifier leurs destins.

« […] Susanne, à l'inverse de son mari, accordait une importance considérable à la lumière […]. Elle apportait un soin extrême à la disposition des sources lumineuses. C'était primordial, comme si chaque pièce était une scène de théâtre et qu'elle devait en régler les éclairages en fonction du climat qu'elle souhaitait y créer, de la luminosité requise et de l'humeur du moment. Il était d'ailleurs troublant, elle s'en rendait compte seulement aujourd'hui, à Longvic, en réfléchissant à l'aménagement de son appartement, que le « texte dramatique » tout comme la « cellule d'habitation » soient désignés par un seul et même mot, le mot « pièce », comme quoi ». (p.150)

« À partir de ce jour, Sarah revint chaque soir se cacher derrière le tronc. Sa propre vie se déroulait sous ses yeux comme sur un écran de cinéma, mais elle n'avait pas la possibilité de s'immiscer dans les images pour infléchir la narration. Elle était condamnée à la fonction de spectatrice. Sa vie était devenue une fiction écrite par d'autres, une fiction où des personnages qu'elle ne connaissait pas n'arrêtaient pas d'apparaître, dont elle était privée des dialogues ». (p.215)

« Sa propre vie, dans ce silence, n'était qu'une vie d'emprunt, de la même façon que les garagistes vous prêtent un véhicule pendant que le vôtre est en réparation ». (p.237)

Sarah, Susanne et l'écrivain m'a conduit à modifier mon profil. Je me suis aperçue que le mot « intimiste » ne correspondait à ce que je recherchais en littérature. Voici un extrait de ma nouvelle présentation : « J'aime les livres qui me surprennent, qui me font plonger dans un monde inconnu, avec des personnages qui s'imposent à moi comme des êtres vivants ».

Sarah ne s'est pas éveillée à la vie devant mes yeux. Elle est restée un être de papier animé en Susanne par le discours nombriliste de l'écrivain. Je me répète mais ce livre est trop cérébral pour moi, ce qui n'empêche que je salue la construction brillante avec ce jeu de miroirs, la profondeur de la réflexion et les belles références à des oeuvres artistiques. Ce livre m'a impacté au point de regarder dans la foulée le film "l'amour et les forêts". Eric Reinhardt est un maître dans le traitement de l'emprise.
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