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Critique de Eve-Yeshe


Nous sommes en Sibérie, dans le petit village de Rybatchi, proche de la mer, en octobre, alors que va débuter la saison de la chasse. Ici tout le monde se connaît, les hommes sont chasseurs, pêcheurs. Il faut bien vivre dans la Russie post communiste, où règnent des flics pourris, miliciens qui rackettent les pêcheurs : on ferme les yeux sur la pêche illégale des oeufs de saumon, qu'ils appellent l'or rouge, moyennant une commission de vingt pour cent…

Un incident survient, Kobiakov furieux que son véhicule soit fouillé par l'un des ripoux, ne se laisse pas faire, emboutit la voiture des policiers, coup de feu échangé sans blesser personne sauf l'orgueil dudit ripou et Kobiakov est obligé de partir à pied avec son chien sur son terrain de chasse, dans la taïga, en évitant ses isbas refuges : il est devenu un « criminel en fuite » pour crime de lèse-majesté…

On va faire ainsi un superbe voyage, dans la solitude des montagnes enneigées, magiques quand on les connaît bien (et même si on ne les connaît pas d'ailleurs !) et rencontrer des personnages fascinants, courageux, épris de liberté. On suit bien sûr Kobiakov sur la trace des zibelines, qu'on appelle « l'or mou », et pour se nourrir il faut abattre d'autres espèces. Cet homme parcourt des centaines de kilomètres à pied, comme on en parcourt cinq ou dix, respecte la nature, ne chassant que pour se nourrir, lui et son chien. Dans la région, les orpailleurs d'autrefois ont laissé la place à l'or mou et à l'or rouge…

On a un autre chasseur, Jebrovski, un nanti qui s'est enrichi de manière plus ou moins honnête et qui vient pour la deuxième année sur le terrain de chasse qu'il a acheté l'année précédente : il était arrivé en hélicoptère la première fois, et il s'étonne que les autres ne l'apprécient guère et l'appellent le Moscovite ». Il n'y connaît pas grand-chose mais veut vivre des sensations fortes, en utilisant d'autres hommes du village pour l'emmener, dégager le passage, tronçonner les pins…

Côté policiers nous avons le lieutenant-colonel Tikhi, qui doit bientôt être muté, et tente à tout prix de régler cette affaire à l'amiable, qui lui-aussi touche des sous, même si c'est à contre coeur et qu'il a brûlé les premières enveloppes de billet dans la cheminée sous l'emprise de la vodka, et qui remettre en question ses choix de vie. Il est entouré de deux autres miliciens, celui qui a déclenché les hostilités car il est prêt à tout pour progresse et n'est même pas originaire du coin.

Le troisième, (Vaska Semikhvatski) vit comme un pacha, tellement il a touché avec ses vingt pour cent, et veut partir seul à la recherche de Kobiakov.

Parmi les villageois, on a aussi Choura qui rêve de révolution, mais reste dans la théorie, et que l'on surnomme « l'étudiant » et un autre personnage, un musicien, Balabane, cheveux longs, mèche qui tombe sur le front, qui chante en s'accompagnant à la guitare, qui sirote sa vodka au bar du coin, toujours penché sur un livre, plein de mystère…

Étant donné l'escalade, les grands pontes de la police de Moscou, tout aussi corrompus sont prévenus et on envoie pour l'exemple l'unité d'élite, l'OMON, des militaires qui ont servi en Tchétchénie ! et qui ne savent faire que le nettoyage par le vide….

J'ai un peu de mal au départ, car la chasse et moi, cela fait deux, et la souffrance animale m'est insupportable, mais j'ai mis mes pieds dans les traces de Kobiakov dont j'ai beaucoup aimé, le respect de la nature, la liberté d'esprit. Les ruminations de Tikhi donnent lieu à des phrases superbes, les personnages secondaires sont tous attachants, avec leurs qualités et leurs défauts, à par le nazillon de service.

« En cela, tous les gars du coin se ressemblaient : ils voulaient une vie libre. Même au prix d'un pouvoir inique. Or un pouvoir inique corrompt même la liberté. »
J’ai failli oublier les femmes dans cette belle histoire : elles sont loin d’être absentes du récit, elles ont un caractère bien trempé, une résistance plus en douceur, plus réfléchie à la situation, qu’il s’agisse de Macha, la compagne de Tikhi, ou de Olia sa secrétaire, ou les compagnes des personnages secondaires. Quant à la femme du Moscovite, qui brille par son absence, on sent en fait sa présence lancinante en toile de fond, vu l’état du couple…

Viktor Remizov décrit très bien l'importance de la corruption dans son pays, ceux qui l'acceptent car c'est devenu une fatalité et ceux qui se révoltent pour plus de justice, et on sent son affection pour ces chasseurs, pêcheurs, ces hommes qui travaillent et voudraient vivre honnêtement de leur travail, et l'importance de l'amitié, des liens qui se tissent entre eux.

J'ai aimé aussi la réflexion sur la liberté, liberté des grands espaces, liberté d'esprit, et la critique de la Russie de Vladimir Poutine qui leur ferait regretter l'époque de l'URSS et tout le monde rigole sur les tours de passe-passe des élections et le roque (clin d'oeil aux amateurs d'échecs) terme sous lequel il désigne l'élection de Medvedev comme président et Poutine devenant premier ministre : « nos présidents, je ne sais même plus qui est au pouvoir en ce moment ». Maintenant, Vladimir ne se donne même plus la peine de procéder au tour de passe-passe, il a fait modifier la consultation pour régner au moins jusqu'en 2036 !

Comme le dit la traductrice :

« Volia volnaïa, « liberté libre », comprend l'idée de grands espaces à parcourir et de risque, souvent associée à la figure du Cosaque, du guerrier, du bandit. Volia signifie à la fois liberté et volonté. »

J'ai beaucoup pensé à Sylvain Tesson et à Andreï Makine en parcourant la taïga, les espaces enneigés, le silence…

Comme dans beaucoup de romans russes, la vodka occupe une place importante, c'est pratiquement un personnage du livre. J'ai adoré cette histoire, et l'écriture si belle de Victor Remizov que j'ai retrouvé avec un immense plaisir car je l'ai découvert, l'année dernière grâce à NetGalley, avec son deuxième roman « Devouchki » qui était déjà un coup de coeur.

https://leslivresdeve.wordpress.com/2019/02/17/devouchki-de-victor-remizov/

Je connais encore mal les auteurs russes contemporains, à part Victor Remizov et Andreï Guelassimov, alors que j'adore les auteurs russes du XIXe, mais j'essaie de combler mes lacunes…

Donc, un immense coup de coeur une nouvelle fois pour le roman et l'auteur dont j'attends le prochain livre avec impatience, en espérant que le régime ne l'enverra pas en prison car la liberté de pensée n'est pas la bienvenue…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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