De l’avis de tous, ce qui était le plus inquiétant, c’est que depuis plusieurs jours il ne buvait plus. On avait beau lui proposer du vin blanc, du vin rouge ou quelque armagnac dont il était gourmand, il prenait un air dégoûté et, d’un petit geste imperceptible de la main, faisait signe qu’on le laissât tranquille.
Le plus touché, c’était René, vu qu’il picolait autant, sinon plus que son père. Et puis, comme il était l’aîné, il se sentait investi d’une responsabilité nouvelle quant à l’avenir de la propriété. Aussi tout le monde attendait qu’il prenne la parole, même si on savait bien que son pauvre cerveau d’alcoolique, ne fonctionnait que par intermittence.
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À les voir travailler ensemble, on était à se demander ce qui pouvait rapprocher ces deux êtres si dissemblables. En effet, Antoinette portait ses cinquante ans comme on porte une croix. Petite, maigre comme un sac de clous, son visage osseux était déjà marqué par d’innombrables rides. Son teint pâlot et ses yeux globuleux accentuaient encore son aspect maladif, souffreteux.
Beaucoup ne la voyaient pas changer. Il faut dire qu’elle avait vieilli avant l’âge et s’était stabilisée autour de la trentaine. Elle vivait seule dans une belle maison que lui avaient léguée ses parents, à deux pas de l’église Saint-Pierre. Pieuse, mais pas du tout cul-bénit, elle participait activement à diverses missions du Secours Catholique.
En fait, cette bonne âme était desservie par un physique qui la faisait ressembler à une vieille bigote. elle en souffrait, mais acceptait ce qu’elle considérait comme une volonté de Dieu.
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L’endroit était misérable, laid, sale, à l’image de cette famille qu’il vomissait.
Tout était laissé à l’abandon. Dans un coin de la cour, le vieux tracteur poussif était en partie démonté et semblait être abandonné dans une longue agonie. Çà et là, des machines agricoles ressemblaient à de véritables tas de ferraille envahis par la volaille de la basse-cour.
Spectacle affligeant. On eût dit qu’un cataclysme était passé sur le Puy-Barraud.
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